Maroc : La recherche scientifique au service du secteur halieutique … – Yabiladi

Pour Abdelmalek Faraj, l’économie bleue a un potentiel de croissance économique phénoménal «que nous ne réalisons pas encore». Directeur de l’Institut national de recherche halieutique (INRH), il revient aussi, dans cette interview, sur le rôle de la recherche dans le secteur halieutique, la philosophie de l’INRH ainsi que quelques projets en cours.
Quelle est la place de la recherche scientifique dans l’économie bleue ?
Pour l’INRH, toutes les activités en rapport avec l’alimentation, la biotechnologie et l’activité liée au domaine halieutique ont une importance prépondérante. L’économie bleue a non seulement une importance pour notre survie en tant qu’humain, mais elle est également importance car elle a un potentiel de croissance économique phénoménal que nous ne réalisons pas encore.
L’intérêt est justement de découvrir toutes ces potentialités, grâce à la recherche et la science qui donneront les clés afin de réaliser le potentiel économique. C’est la science qui va permettre un réel développement dans le secteur halieutique.
La stratégie Halieutis, lancée par le Maroc, a permis en dix ans de révolutionner le secteur halieutique. Il reste évidemment beaucoup à faire mais il y a une réelle transformation du secteur, en termes de production, de compréhension et d’appréhension de la manière de gérer le secteur et de son développement. L’accent a été mis sur la recherche, la durabilité et la gestion des pêches. Désormais, les professionnels savent ce que c’est un plan d’aménagement, son rôle et son fonctionnement et ils en sont demandeurs. Il y a cinq ans pourtant, l’INRH plaidait pour la fermeture de zones, ce qui était décrié par les professionnels. Ces derniers ont fini par constater l’efficacité et comprennent désormais le système que nous voulons mettre en place.
L’investissement dans la recherche halieutique a-t-il fini par porter ses fruits ?
La recherche halieutique est extrêmement favorisée au Maroc. Notre budget a triplé en l’espace de dix ans, passant de moins de 100 millions de dirhams à plus de 300 MDH, sachant que cela dépend des projets annuels. Nous avons mobilisé plus de 1,5 milliard de dirhams en l’espace de 10 ans pour la recherche, soit en termes d’infrastructures ou de projets, et il faut que cela continue à augmenter car en investissant, nous avons montré la valeur de la recherche et son rôle dans l’économie halieutique au quotidien.
D’ailleurs, beaucoup de pays africains nous sollicitent. Mardi, nous avons signé trois mémorandums, pour des prospections scientifiques de l’INRH. Lors de la conférence sur l’initiative de la Ceinture bleue, d’autres pays ont demandé aussi notre assistance. Dans le cadre de cette initiative, nous pourrons disposer d’une vraie vision régionale de la recherche dont le point de départ serait le Maroc. Ces pays ont vu nos résultats et nos travaux et leur impact sur l’économie.
Il y a cependant beaucoup de choses à faire, car nous avons beaucoup de richesse. L’objectif n’est pas de continuer à pêcher plus. Au contraire, il faut réduire car beaucoup de stock vont mal. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons mis en place des plans d’aménagement par espèce. Nous sommes aussi en train de voir le zoning et les plans d’aménagement spéciaux qui intègrent l’ensemble des espèces pour inclure les spécificités nécessaires afin de protéger chacune d’elle.
Abdelmalek Faraj, Directeur de l'Institut national de recherche halieutique (INRH). / DRAbdelmalek Faraj, Directeur de l’Institut national de recherche halieutique (INRH). / DR
Quelle est la philosophie de l’INRH ?
L’INRH est au service d’un secteur économique. C’est pour cela que l’Etat a eu l’intelligence de mobiliser de l’argent, en constatant que cela alimente un secteur économique ayant un poids social très important. Il y a toujours des solutions mais il faut y aller progressivement, avec des mesures et de moyens pour que l’opérateur soit en mesure de répondre aux exigences.
Tout comme la Stratégie Halieutis, qui a présenté une vision globale, nous intervenons dans l’océanographie pour mieux comprendre la biologie et donc les stocks, l’aquaculture, la transformation et la valorisation des produits de la mer. La nouvelle économie bleue n’est pas basée sur l’extraction ou l’exploitation primaire de la mer mais plutôt l’utilisation de ces complexités et ces spécificités et donc des connaissances.
L’INRH dispose, d’ailleurs, d’un Observatoire halieutique qui est unique dans le monde, étant intégré et dynamique. Pour nous, ces données doivent être mises à la disposition du public. Si nous voulons jouer un rôle dans le développement économique, il faut que n’importe quelle personne, opérateur ou même étudiant voulant lancer sa startup, puisse trouver l’information et la donnée. L’ambition est donc d’être la dynamo d’une vraie économique.
Quels sont les défis qui persistent et comment parvenir, selon vous, à les surmonter ?
Les rejets sont un exemple des mauvaises pratiques. Il faut développer encore plus nos activités de recherche et renforcer nos connaissances. Dans ce sens, nous essayons d’améliorer notre capacité de communication et de vulgarisation auprès de l’ensemble des parties prenantes. Nos avis scientifiques doivent être compréhensibles, bien traduis, bien rédigés et bien argumentés. Il faut que les opérateurs soient des parties prenantes et soient accompagnés et dotés d’outils de production durables.
Par exemple, pour le cas de l’aquaculture par exemple, nous pouvons apprendre aux opérateurs de faire une culture d’algues qui permettra de contribuer à la désacidification de l’océan, à sa dépollution et à l’absorption du CO2 et donc à réduire ou atténuer le réchauffement climatique, tout en restant rentable.
Notre philosophie et celle de la Ceinture bleue est qu’il faut arrêter de donner des leçons. C’est évident qu’il faut réduire la pêche pour ne pas détruire les stocks halieutiques. Toutefois, si nous dotons les professionnels de moyens de production et surtout d’un mécanisme et de cadre et nous leur apportons des outils pour transformer leur business en une activité durable, ils deviendront les champions de la durabilité. Il faut leur tracer le chemin.
Quels sont les projets phares qui sont menés actuellement par l’INRH ?
Nous avons un potentiel énorme pour l’aquaculture, mais cela ne s’est pas développé, notamment pour la pisciculture en mer. L’une des difficultés, contrairement à d’autres pays européens, est le fait que nous avons très peu de zones protégées de la grosse houle et des tempêtes. Même la baie de Dakhla, qui paraît idyllique, n’est pas protégée contre le vent fort. La mer n’a pas été suffisamment apprivoisée par l’homme. Nous sommes toujours en train d’apprendre à pouvoir opérer son activité quelles que soient les conditions.
L’INRH est en train de tester quelque chose d’extrêmement innovant au Maroc et en Afrique avec une ferme offshore en face de Sidi Ifni, dans l’Atlantique. Il n’existe que six ou sept fermes offshore dans le monde. Nous avons mobilisé le Département de la pêche qui nous a octroyé 40 millions de dirhams. Nous tentons de comprendre comment faire pour apprivoiser ce nouveau milieu naturel. Une fois maîtrisé, nous aurons un protocole qui permettra d’aider les opérateurs. On assure ainsi l’investissement et la faisabilité du projet. Quand le risque sera réduit et maîtrisé, il y aura beaucoup d’investissements, d’autant plus que le potentiel reste énorme avec nos 3 500 kilomètres de côtes. Ces expérimentations sont menées dans les conditions très dures. La ferme existe depuis juillet 2022.
Ce n’est pas une technologie importée de l’étranger. Nous nous faisons accompagner par des experts internationaux pour pouvoir expérimenter des prototypes marocains et produire un prototype au Maroc. L’objectif est surtout d’être à l’origine du démarrage d’une supply chain pour un vrai écosystème.
Pour le rejet, il y a un aspect réglementaire sur lequel il faut se pencher. Mais nous sommes en train de développer la version 2.0 d’une application de «Smart-fishing», avec l’intelligence artificielle. S’il est bien guidé vers une option plus rentable, le pêcheur n’hésitera pas à suivre.
Cet outil lui indique donc où aller et comment pêcher pour mener son activité tout en respectant toutes les règles de durabilité, grâce à des cartes basées sur les données biologiques, de la pêche et celles des conditions environnementales, qui sont mises à jour quotidiennement avec l’intelligence artificielle et le machine learning. Ces cartes biologiques sont ainsi transformées en cartes économiques. Cela se fait déjà sur certains stocks, notamment le petit pélagique et nous pouvons le faire aussi pour le poulpe.
Nous travaillons aussi sur des projets avec une vision plus large, comme la sélection d’une espèce de crevette, marocaine et de haute valeur. Le projet a déjà démarré avec une phase de maîtrise de la reproduction de cette espèce. L’écloserie à Dakhla sera mise en exploitation.
Bien que le processus risque d’être long, un système d’élevage intensif sans impact environnemental suivra. C’est un travail de longue haleine qui, une fois achevé, permettra aux écloseries de crevette de fleurir, car nous avons la terre à proximité de la mer, une richesse et de l’énergie. Le vrai défi reste l’humain.

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