Ride : “Nous ne regretterons pas d'avoir tout mis dans le groupe, si jeunes” – Les Inrocks – Les Inrockuptibles

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11 min
par Christian Fevret
Publié le 20 octobre 2022 à 14h24
Mis à jour le 20 octobre 2022 à 14h24
©Renaud Monfourny
À l’automne 1990, “Les Inrockuptibles” rencontraient quatre gamins angéliques, qui venaient de signer avec “Nowhere” l’une des pierres angulaires du shoegazing. Retour en arrière, avant l’unique date française de Ride rejouant “Nowhere” aux Inrocks Festival le 18 décembre.
Ride ne fait aucun effort pour être plus attrayant, pour avoir de la gueule. Notre seul effort concerne la musique. Si nous sommes glamour, cela vient de notre jeunesse. Notre vidéo est un pastiche de A Hard Day’s Night des Beatles, elle n’exploite qu’un aspect de Ride, son côté jovial. Si le public devient dingue lorsque nous sommes sur scène, ce n’est pas à cause de notre dégaine mais à cause de l’énorme volume sonore, très important pour notre musique. Le groupe est un véritable défouloir pour nous, nous essayons de ne rien retenir, de tout laisser sortir pêle­-mêle. Le public de nos concerts est souvent très chaud car lui aussi se défoule, il sait qu’il peut devenir dingue avec noue musique. C’est pour cette excitation que nous jouons. Ce que nous faisons doit avoir un impact, notamment sur scène, où nous essayons d’effrayer les gens, de polariser leurs sensations. Si les gens disaient, à la sortie d’un de nos concerts, “C’était pas mal, ils étaient assez bons”, ce serait un échec. Nous voulons de l’extrême.
Tenez-vous plus à effrayer qu’à séduire ?
Ride –
Je ne considère pas ça comme de la séduction. Lorsqu’on écrit une chanson, il n’y a personne à séduire. Et sur scène non plus : on affirme, on ne séduit pas.
Tenez-vous à l’idée de pop-song ?
De nos jours, tout le monde fait des pop-songs. C’est pratiquement toujours le même message et les mêmes mots, la différence vient de la manière de les présenter. Mais je ne veux pas croire que nous écrivons des mélodies pop à jeter après usage. Nous écrivons des choses qui sonnent bien au présent mais qui sonneront toujours bien, nous l’espérons, dans dix ans. L’idée de la pop-song, c’est peut-être de ne pas penser à être créatif, mais au contraire de laisser s’écouler les choses sans retenue. Il y a des points communs entre certaines paroles de Frank Sinatra et les nôtres, il y a quelque chose de lui dans Dreams Burn Down ou dans Chelsea girl.
Le songwriting semble être une notion importante pour vous. Ce qui est en contradiction avec le mouvement anglais actuel.
C’est normal, sa seule ambition est de faire danser. Notre musique n’est évidemment pas très dansante. Je peux prendre beaucoup de plaisir à. Je peux prendre beaucoup de plaisir à aller en club, mais lorsque je rentre à la maison, j’aime écouter la musique qui signifie beaucoup pour moi. Et ce n’est pas la dance-music. Ces deux musiques sont distinctes, mais les gens qui sont dedans sont les mêmes. Et c’est en ça que les choses ont changé : les gens vont en club un soir et deviennent dingues à notre concert le lendemain. Même si la presse anglaise essaie encore d’entretenir la ségrégation. En fait, les catégories volent en éclats en ce moment, on apprécie plus de choses différentes, on a l’esprit plus ouvert. En Angleterre, les gens prennent maintenant leurs distances avec les modes. On annonçait il y a quelque temps la fin des guitar-bands, tel ou tel avenir pour la musique ; mais la réalité est tout autre : les goûts des gens sont plus variés que jamais. La mode ne prendra plus le pouvoir maintenant. Et Ride évoluera en collant à nos vies personnelles et non pas aux tendances. Nous sommes déjà fiers d’avoir acquis de la popularité par nos propres moyens, en étant nous-mêmes, en étant Ride. Voilà un réel motif de satisfaction. Cette intransigeance causera peut-être notre perte. Dans ce cas-là, tant pis.
Musicalement, vous passez pour de vilains canards dam l’environnement actuel. Ne vous sentez-vous pas totalement à contre-courant ?
Nous ne nous sentons pas en opposition. Nous sommes perméables à beaucoup de choses. Mais même si nous sommes insidieusement influencés, même si nous avons l’impression de faire partie de cette scène, que nous apprécions, nous ne ressentons pas le besoin de sortir des dance-mix. Nous n’essayons pas délibérément de faire une musique différente de la dance ambiante, mais la nôtre est la seule que nous connaissons, nous sommes incapables d’en jouer une autre. Si je devais écrire de la dance-music, je n’aurais pas confiance en moi. Notre musique est la seule avec laquelle je suis à l’aise. La dance-music, vous l’écrivez en fonction de ce que les gens attendent. Nous écrivons la nôtre pour nous, pour notre propre satisfaction. Si les gens l’apprécient ensuite, c’est une satisfaction supplémentaire. Mais la recherche du consensus n’est pas une motivation.
Des groupes comme My Bloody Valentine, au début aussi radicaux que vous, ont fait un pas vers la dance.
My Bloody Valentine utilise des rythmes de dance avec des guitares noisy comme sur Isn’t Anything depuis longtemps, même si ce ne sont pas des disques de dance. Ces groupes-là sont dans une position où ils peuvent tout se permettre : ils ont beaucoup de disques derrière eux, ils ne vont pas éternellement faire la même chose. Comme ce sont des gens intelligents qui savent ce qui se passe, qui sont certains de leurs goûts et maîtrisent parfaitement les techniques de studio, ils peuvent sortir un disque comme Soon, qui n’est en aucun cas un compromis. My Bloody Valentine a influencé un nombre incalculable de groupes, même Happy Mondays, dont la plupart ont acquis plus de popularité. Ils n’ont donc de compte à rendre à personne. Comme ces groupes, nous ne voulons pas faire partie de la mode car nous ne voulons pas disparaître avec elle. Nous sommes là pour durer, même si la pérennité n’est pas une préoccupation pour nous. Je crois que nous sommes un groupe qu’on apprécie sur la longueur, pas seulement l’espace d’un instant ou d’un concert. Avant d’être dans le groupe, j’écoutais My Bloody Valentine, Sonic Youth, House Of Love, tous ces guitar­-bands qui ont plus de signification pour moi que les “sensations” du moment.
Guy Chadwick de House Of Love est d’ailleurs le parrain de Ride, qui vous a fait connaître en vous emmenant en tournée…
Le succès l’a beaucoup changé. Il avait passé sept ou huit ans à tenter d’y arriver, sans succès. Et d’un seul coup, ça a marché. Même s’il le souhaitait, ce fut un choc. Cette dernière année, il a passé tellement de temps à tourner, loin de chez lui, qu’il a perdu de vue ce que les gens attendaient de lui. Il s’est trop détaché de l’Angleterre et de ses racines. Mais bon… Qui sommes-nous pour juger Guy Chadwick ? J’ai beaucoup de respect pour lui, House Of Love est un grand groupe, mais il en a beaucoup trop fait. Il s’est coupé du reste du monde alors qu’il est important de revenir de temps en temps à la réalité. Mais c’est un songwriter tellement bon qu’il s’en sortira.
Il y a un fort sentiment de communauté, de rassemblement, par le simple fait d’entendre “Tu n’es pas le seul”

Quelles sont les valeurs communes des groupes de votre génération ?
Il y a un fort sentiment de communauté, de rassemblement, par le simple fait d’entendre “Tu n’es pas le seul”. I Wanna Be Adored des Stone Roses traduit ce sentiment : c’est une chanson pour tout le monde, un sentiment commun avec lequel on se sent bien, une appartenance commune dom on tire satisfaction. Socialement, les temps sont particulièrement durs en ce moment, les gens ont d’autant plus besoin de choses qui les aident dans leur solitude. Ce pays se porte mal, ses habitants ont peu d’argent et sont éprouvés – le symbole en est la poll-tax –, mais ce qui les aide à rester debout est le fait qu’il se passe de bonnes choses en musique. On ne se laisse pas abattre, on préfère.se donner du bon temps ensemble, grâce à la musique. Les gens se disent “Allez merde, prenons un peu de bon temps”. Ce qui se passe dans la scène des clubs est très positif, profond et vivant, vrai ; les gens croient en ce qu’ils font. Moi, si j’ai voulu être dans un groupe et nulle part ailleurs, c’est poussé par l’ennui que m’inspirait tout le reste. De plus en plus de gens sont dans mon cas, prennent ce risque, et beaucoup sont bons.
Quelle est l’importance de l’élément drogue pour cette scène et pour vous ?
Si j’en prends de temps en temps, ce n’est pas pour aider le groupe. Aucune raison créative. Lorsque je rentre chez moi et que je veux me relaxer, je fume un peu. Ou un petit cachet le soir, si je veux m’amuser en club. Mais ça n’a rien à voir avec le groupe, ça fait partie de ma vie sociale privée.
Le mouvement que connaît actuellement l’Angleterre est-il appelé à durer ?
Il durera. L’aspect mode disparaîtra, mais la musique durera. Les Stone Roses, Happy Mondays nous ont aidés en enfonçant les portes et l’Angleterre en avait besoin, car les charts devenaient épouvantablement conformistes. Ces groupes ont ouvert l’esprit de beaucoup de gens, ce qui fait que la période est particulièrement agréable pour être dans un groupe. De ce point de vue, ça ressemble aux sixties : beaucoup de bons groupes, une relative facilité pour se faire entendre et acquérir une certaine popularité. / Wanna Be Adored restera un classique, que les Stone Roses portent des pattes d’éph’ ou pas. La hype superficielle disparaîtra mais ces chansons-là resteront pour toujours, voilà l’important. Même si musicalement certains n’ont rien à voir entre eux, les groupes actuels ont la même approche de ce qu’ils font, ils s’apprécient les uns les autres, partagent les mêmes principes. On fait les choses qu’on aime et on est respecté pour ça. Les plus désorientées sont les maisons de disques, car c’est quelque chose qu’elles n’ont pas contrôlé. Ce sont les gens qui ont fait encrer les Stone Roses dans les charts, ce sont les gens qui ont décidé que Happy Mondays était parfait pour danser. Pour une fois, ce ne sont pas des modes d’un jour mais quelque chose de vrai et de profond.
Le sentiment de communauté est-il également un sentiment de solidarité ?
C’est avant tout une question de communication : les gens veulent avoir du bon temps, c’est aussi simple que ça. On donne une chance à tout. On a envie de faire connaître les disques qu’on aime, de les partager avec les autres. C’est ce qui a réuni les membres de Ride : notre enthousiasme sans limites pour la musique, le besoin de s’échanger des cassettes, de se faire découvrir des disques en permanence. Nous étions destinés à rencontrer des gens comme Alan McGee, le boss de Creation, car c’est sa conception d’un label. Cet esprit s’exprime maintenant dans les clubs et lors des concerts, il se concentre dans certains lieux, certaines villes. Je ne le constate pas vraiment dans la vie quotidienne car maintenant, chaque jour, notre vie est plongée dans le milieu musical.

Il est surprenant de voir que votre génération admet, parfois revendique, beaucoup d’éléments et de valeurs rejetés à la fin des années 1970 et au début des années 1980, notamment dans le visuel et le son.
Nous ne serons jamais fermés d’esprit, même si nous avons des règles relativement précises pour le groupe. Nous avons refusé énormément de choses pour notre album, tout en essayant ce qui sonnait bien à nos oreilles, un peu de piano par exemple, même si aucun de nous ne sait en jouer.

On trouve chez vous deux sentiments absents chez tous les autres groupes du moment : une certaine âpreté et un certain romantisme.
Peut-être qu’inconsciemment nous avons senti ce qui manquait chez les autres et que nous l’avons mis pour cette raison dans notre musique. On ne se plaint pas, on le fait soi-même. Mais je ne nous considère pas comme particulièrement romantiques, je crois que nos chansons contiennent beaucoup de points d’interrogation, particulièrement l’album, nous progressons dans cette voie. Nos deux premiers maxis nous paraissent loin maintenant, nos nouveaux disques sont plus terre-­à-terre, collés à la réalité.
“Je n’ai pas en moi suffisamment de créativité pour le reste de ma vie. J’ai besoin de choses pour m’inspirer, je ne peux pas compter que sur moi.”
Contrairement, une fois de plus, à beaucoup de contemporains, vous semblez concernés par l’histoire de la musique.
Nous n’avons pas tourné le dos à la génération précédente, qui a beaucoup influencé notre musique, qui d’un autre côté aurait été presque la même il y a dix ans. Nous avons énormément de respect pour ce qui s’est fait avant nous, pour des groupes comme les Beatles, les Stones, le Velvet Underground. Nous avons tous fait un effort conscient pour nous instruire, nous éduquer, pour ouvrir notre horizon en nous retournant sur nos grands frères. Nous sommes de la génération du compact, qui aide beaucoup à ces redécouvertes. Je n’ai pas en moi suffisamment de créativité pour le reste de ma vie. J’ai besoin de choses pour m’inspirer, je ne peux pas compter que sur moi. Des groupes comme My Bloody Valentine, Sonic Youth ou le Velvet ont ouvert beaucoup d’oreilles que nous n’avions plus à ouvrir.

Même si on a tendance à vous comparer à The Jesus & Mary Chain des débuts, votre attitude est radicalement différente de ce qu’était la leur ; agressive et provocatrice. N’avez-vous jamais été attirés par ces comportements ?
Jesus & Mary Chain se sont rendu la vie dure avec ça, car on ne peut pas être violent toute sa vie. Leur public a beaucoup changé, on ne les écoute plus pour les mêmes raisons qu’au début. Mais si vous avez quelque chose de vraiment différent, vous devez vous battre pour ça. Comme les Smiths, qui étaient seuls contre le reste du monde lorsqu’ils ont commencé. Soir ils renonçaient d’entrée, soir ils se battaient avec orgueil en se proclamant les meilleurs au monde, et ça c’est de l’arrogance. Eux ont commencé aux extrêmes, c’est ce qui les a faits, c’est ce qui les a montés au-dessus des autres. Mais nous, nous ne sommes pas “contre”, car nous ne sommes pas dans un environnement aussi hostile.
L’époque est plutôt aux sentiments “peace & love” : il y a peu d’agressivité dans l’air. Tout le monde s’aime.
Nous apprécions d’avoir d’autres bons groupes à nos côtés. Alors que les années 80 étaient un sale moment pour la musique, il ne s’est rien passé à l’exception de ces quelques groupes, Smiths, Echo & The Bunnymen, Jesus & Mary Chain.
Ne vous trouvez-vous pas trop gentils ? Ne vous manque-t-il pas un peu de leur cynisme ?
Ils étaient d’abord un peu plus vieux que nous. Nous sommes cyniques envers ce qui le mérite, il y a simplement moins de raisons de l’être. Et je peux vous garantir que sur scène, nous ne sommes pas « gentils”. Je n’éprouve pas le besoin d’être cynique dans ma vie quotidienne : j’ai 20 ans, qu’est-ce que j’y connais ? Je sais reconnaître un bon disque d’un mauvais, mais je trouve vain et ennuyeux de passer mon temps à enfoncer les autres groupes.
L’enregistrement du premier album s’est fait au rythme de notre vie actuelle, de manière effrénée.
Contrairement à la majorité de ses contemporains, la fainéantise n’est pas une caractéristique de Ride.
C’est comme si nous travaillions en permanence. Chacun de nous a chez lui un petit quarre pistes avec lequel on bricole tout le temps. Musicalement, nous sommes toujours en activité. Nous n’avons même pas eu la possibilité d’être paresseux ou dilettantes, car tout s’est précipité. L’enregistrement du premier album s’est fait au rythme de notre vie actuelle, de manière effrénée. Nous allons nous calmer un peu. Mais nous sommes des rapides de nature : dix-neuf chansons sorties en un an, et déjà de nouvelles de prêtes.
Regrettez-vous parfois d’avoir quitté tôt vos études?
Absolument pas. C’est maintenant que nous apprenons. Trois d’entre nous étaient au Banbury College, une école préparatoire en art. J’ai préféré me retrouver dans un environnement créatif plutôt que dans une machine à examens, mais sans me sentir particulièrement doué pour autant. Je sais que c’est un cliché de venir d’un art-college, mais Ride n’existerait pas si nous n’y étions pas allés. Nous n’avons jamais voulu être considérés comme des prétentieux imbus d’eux-mêmes parce qu’ils venaient d’une fac d’art. Nous avons tous eu de petits jobs pour vivre au début, nous ne sommes donc pas coupés de la rue pour autant, nous en connaissons les réalités. Lorsque nous sommes arrivés dans notre fac, nous pensions tous faire notre vie dans le domaine artistique et non dans un groupe. Et puis Ride nous a kidnappés. Autour de nous, les étudiants étaient sur les rails des études. Nous, nous avons suivi notre instinct, qui a finalement pris le dessus. Nous ne regretterons pas d’avoir tout mis dans le groupe, si jeunes. J’ai appris tellement plus avec Ride.
Propos recueillis par Christian Fevret à l’automne 1990
Ride jouera Nowhere en concert unique aux Inrocks Festival le 18 décembre à Paris (Élysée-Montmartre). Pour acheter vos places, suivez ce lien Dice.
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