Olena Zelenska : la guerre en Ukraine "est une guerre pour des … – France Inter

Bientôt dix mois après le début de l’invasion russe. La première dame du pays, Olena Zelenska était à Paris pour une visite de trois jours, alors que se tenaient dans la capitale une  conférence pour la reconstruction face à la guerre. Elle a par ailleurs notamment visité une école aux côtés de Brigitte Macron et du ministre français de l’Éducation Pap Ndiaye. A l’occasion de cette visite, l’épouse de Volodymyr Zelensky a répondu aux questions de France Inter, dans un Grand entretien exceptionnel diffusé jeudi.
LÉA SALAMÉ : Depuis dix mois, vous êtes en Ukraine et continuez à résister, aux côtés de votre mari, Volodymyr Zelensky, depuis le premier jour de la guerre. Vous avez écrit sur Instagram : “Chers Compatriotes, je vous vois dans la rue, à la télé ou sur Internet. Une vraie armée. Je ne vais ni pleurer ni paniquer. Je vais rester calme et confiante.” Dix mois après le début de cette guerre, êtes-vous toujours calme et confiante, ou la peur et les larmes vous ont-elles rattrapé ?
OLENA ZELENSKA : “Je continue à aimer et à admirer mes compatriotes, comme il y a dix mois et, heureusement, rien n’a changé. Notre courage est inchangé, car nous nous battons pour notre vie, pour notre liberté, pour l’avenir de nos enfants. Nous ne voulions pas cette guerre. On nous a obligés à être victimes de cette guerre. Mais nous ne sommes pas d’accord d’être victimes.”
Il n’y a pas de baisse dans la résistance, elle semble toujours aussi forte aujourd’hui chez les Ukrainiens, dix mois après. Pas de fatigue, pas de désespoir ?
“C’est très dur. Et dire que ce n’est pas dur serait mentir. Mais nous avons déjà traversé tellement de choses que cette résistance et cette force ne peuvent que croître. Nous avons déjà traversé tellement de choses, que trahir ce que nous avons vécu et ce que nous avons traversé depuis des mois serait vraiment honteux. Et c’est la raison pour laquelle nous sommes encore plus consolidés et plus certains de notre victoire tant attendue.”
Il fait froid ce matin à Paris, encore plus à Kiev, -5 °C aujourd’hui. Sauf que là-bas, les Russes ont bombardé les infrastructures civiles de votre pays. Comment tenez-vous face à ces températures ? Il y a des régions entières sans chauffage, sans électricité. Comment les Ukrainiens tiennent-ils ?
“Tout d’abord, nous avons appris à partager nos efforts, à nous entraider comme on peut. Aujourd’hui, dans le pays, il y a des réseaux de ‘centres d’invincibilité’, pour les situations les plus difficiles. Lorsqu’il n’y a pas d’endroit où se réchauffer, où il n’y a pas de connexion, pas d’électricité. Ce sont les pouvoirs publics qui l’organisent, mais aussi les milieux d’affaires et les organisations civiles, qui peuvent être à l’initiative de ces centres. Ils peuvent se trouver dans les postes de police, dans le hall de bâtiments publics, parfois juste dans des tentes, dans les rues, les parcs, avec de grands générateurs. Il y a du thé chaud ou du café, on peut venir recharger le téléphone. Il y a d’ailleurs beaucoup d’étudiants qui continuent à étudier ‘on line’, ou bien des écoliers qui font leurs devoirs. Donc nous nous entraidons, les uns les autres, et ce qui nous réchauffe encore plus, c’est le fait de savoir que nous ne sommes pas seuls, qu’il y a un soutien puissant de nos partenaires.”
Pour les Ukrainiens, les générateurs sont désormais indispensables, afin de pouvoir se réchauffer, recharger les batteries. Près d’un milliard d’euros de dons ont été promis pour l’Ukraine pour vous aider à passer l’hiver, lors de la conférence de Paris qui s’est tenue cette semaine. 47 pays y ont participé et se sont aussi engagés à reconstruire l’Ukraine sans attendre la fin de la guerre. Cette conférence, a-t-elle été à la hauteur de vos attentes ?
“Je peux dire que nous sommes très heureux de l’organisation de cette conférence, de voir un spectre aussi large de participants. Et c’est le président Macron qui a fait le plus pour que cette conférence puisse avoir lieu, pour élargir au maximum le nombre des pays participants. Il y a eu des représentants de régions qui n’ont pas été très actifs par le passé dans l’aide à l’Ukraine et c’est un signe important. Les résultats de cette conférence sont très optimistes. Nous nous attendons à pouvoir restaurer nos capacités énergétiques avec cette aide, ce qui nous donnera des résultats pour chaque habitant ukrainien.”
Des générateurs et de l’argent ont été promis, ainsi que des armes. Les Européens, les Américains vous ont donné des chars, des avis. Avez-vous encore besoin d’armes ?
“Oui, nous avons besoin d’armes, toujours plus.”
Le mot “humilier” revient très souvent dans vos propos, en rapport à l’humiliation que vous inflige la Russie. Vous dites que les Russes veulent avant tout humilier votre peuple, par leurs frappes militaires, mais aussi par les violences et les crimes sexuels qu’ils infligent à votre population. Ce sentiment d’humiliation, ce mot, qui revient tout le temps, est-ce contre ça que vous vous battez ?
“Il me semble que ce sentiment d’humiliation est parfois le moteur de notre résistance. Imaginez une personne moderne, dans une société européenne, qui vit dans une mégapole, qui a l’habitude d’utiliser tous les bienfaits de la civilisation, de la société actuelle et qui a oublié ce que c’est de ne pas avoir d’Internet puisque toute sa vie tourne autour de son smartphone. Cette personne est désormais obligée de se cacher dans le métro ou dans des caves, pratiquement tous les jours ou un jour sur deux. Elle est obligée de supporter l’hiver froid, sans chauffage, n’est pas capable de planifier sa journée, car elle ne sait pas quand elle pourra venir dans son bureau ou s’il y aura l’internet à cet endroit. Donc, nous sortons de la normalité et c’est déjà, en soi, une humiliation.
Rappelons-nous de ce qu’il se passe sur les territoires occupés, ce qu’il s’est passé, ce qui dure depuis plusieurs mois, à Marioupol, par exemple, lorsque les habitants d’une grande ville près de la mer, une ville magnifique avant cette invasion terrible, étaient obligés l’hiver dernier [en février, au début de la guerre, NDLR] de faire fondre la neige pour avoir de l’eau. Ou que l’été, ils devaient prendre de l’eau dans des flaques. Ils sont obligés d’enterrer leurs morts dans les cours de leurs immeubles. Le parc où ils avaient l’habitude de se promener avec leurs enfants, qui était un lieu de repos et de loisirs pour eux, se transforme en cimetière. C’est effrayant et c’est plus qu’une humiliation. Mais l’humiliation est l’une des émotions que nous ressentons constamment pendant cette guerre.”
Craignez-vous que l’opinion internationale, qui vous a soutenu ardemment, se lasse ?
“Nous mettons en garde contre ce genre de fatigue parce que c’est dangereux. Cette guerre n’est pas seulement notre guerre, c’est une guerre pour des valeurs européennes, pour des valeurs humaines. Nous pouvons la gagner ensemble, car chaque défaite ukrainienne est une défaite commune. Et chaque victoire ukrainienne, c’est notre victoire commune. Réjouissons-nous de toutes nos victoires communes et plus vite viendra notre grande victoire commune – car je suis persuadé qu’elle ne pourra être que commune. Ne divisons pas tout cela, nous sommes tous ensemble aujourd’hui et nous devons le rester.”
Vous disiez au journal “Le Monde” en juin dernier ‘La petite musique qui monte, expliquant qu’il faut ménager la Russie, je ne veux pas l’écouter’. Et pourtant elle existe. Ceux qui parlent de négociations, de sortie de guerre, de ne pas ‘humilier’ Vladimir Poutine. Comment réagissez-vous ?
“Les Ukrainiens sont extrêmement sensibles à cette thèse, car nous sommes en train de mourir, physiquement, aujourd’hui. Comment peut-on encore mettre davantage en colère celui qui a fait preuve déjà du plus haut niveau d’agressivité. C’est déjà impossible d’aller plus loin. Il me semble que les thèses avancées par les responsables politiques du pays agresseur sont dirigées vers l’étranger. Leurs déclarations sont si mouvantes, sont aussi incertaines et aussi mensongères qu’on ne peut même plus en tenir compte.”
Avez-vous peur que la propagande russe devienne de plus en plus forte ?
“Cette propagande a toujours été forte. Depuis plusieurs années, ils ont dépensé beaucoup d’argent pour ce travail. C’est une propagande massive, structurée. Ils ont un réseau d’agents au milieu des journalistes, dans les milieux politiques à travers le monde, dans les milieux d’affaires. Il est très difficile de briser cela. C’est une sorte de toile d’araignée qui a couvert le monde, non seulement en Europe, mais nous sommes conscients que les pays d’Afrique sont extrêmement liés à cette histoire, et que l’Amérique latine réagit de manière très inerte à ce qui se passe en Europe.
L’Europe aurait aimé vivre dans le calme et que tout cela s’arrête, comme par magie, tout seul. Ce sont des thèses qui sont agréables à entendre pour les gens qui veulent juste oublier les problèmes. Il faut diminuer leur présence. Et on peut le faire par les sanctions, par une ‘hygiène d’information’ des habitants d’Europe sur Internet et à la télévision, mais aussi grâce aux hautes qualités morales de la communauté des journalistes.”
Si quelqu’un, en face de vous, vous disait que la Russie a été humiliée pendant longtemps et que c’est pour ça qu’elle réagit, parce que l’OTAN venait la provoquer, que répondriez-vous ?
“Vous savez, il me semble que ce qui marche le mieux ce sont des histoires simples, des gens simples. Lorsque les responsables politiques d’un pays se lancent dans ce genre d’histoires, ça veut dire que le dialogue est vain. Nous avons créé en Espagne un camp de rééducation psychologique des enfants qui ont souffert de cette guerre. Dans le premier groupe, il y avait un petit garçon qui avait enterré sa maman dans la cour de sa maison. Et ensuite, il lui a apporté à manger sur sa tombe.
Un autre garçon a raconté qu’il ne mangeait pratiquement pas et qu’il avait des problèmes de sommeil. Le psychologue travaillait avec lui. Il lui racontait que, lors de l’occupation de son village, les Russes les ont chassés dans la rue avec sa famille. Lui, sa maman, son papa, ils étaient quatre. Et les Russes leur ont dit ‘Faites vos adieux, on va vous fusiller’. Ils se sont précipités pour s’enlacer, pour s’embrasser. Tous les Russes tiraient dans l’air. Ils les ont relâchés ensuite. En soi, c’est déjà horrible. Ce garçonnet dit qu’ils l’ont fait à quatre reprises. J’ai même du mal à en parler aujourd’hui. Comment peut-on comparer les menaces inconnues et irréelles à un pays et les tragédies réelles des enfants.”
Êtes-vous convaincue qu’un jour, Vladimir Poutine sera traduit devant un tribunal international ?
“Je le veux ardemment.”
Quelle sera la victoire, pour les Ukrainiens ? Que la Russie arrête sa guerre ou la justice ?
“Ce sont les deux composantes. Nous voulons restaurer nos frontières. Nous sommes dans notre pays. Et attendre la justice. Nous sommes conscients que ce processus peut prendre des années, même peut être des décennies. Mais c’est la raison pour laquelle nous travaillons sur tous les fronts pour la création d’un tribunal afin que toute personne qui s’est rendue coupable de crime d’agression, qui est la mère des crimes, que chaque personne qui a donné des ordres, soit traduite devant la justice.”
Un mot de votre fondation, que vous avez mis en place. Vous avez fait un appel de dons, ici à Paris. Dites-nous concrètement où vont les dons, pour les Français qui veulent aider les Ukrainiens.
“L’objectif principal de la fondation est de restaurer l’hôpital dans la ville d’Izioum, dans la région de Kharkiv qui a été occupée, libéré en septembre. La tragédie de cet hôpital est qu’en 20 ans, il a été totalement restauré. On a acheté des équipements médicaux et il ne restait qu’à faire un parc autour de cet hôpital.
Le 6 mars de cette année, lorsque les Russes ont avancé, ils ont détruit cet hôpital très fortement. Un ascenseur a décroché, une dalle a écrasé une personne, la chirurgie et d’autres départements ont été détruits. Cet hôpital s’est transformé en ruines, mais sont restés là-bas 190 personnes du personnel médical, les médecins, les infirmiers qui, durant ces mois de l’occupation et après, ont continué à soigner. Aujourd’hui, les gens reviennent dans cette région, il y en a de plus en plus. Ils ont besoin d’aide médicale. C’est pourquoi nous voulons apporter une aide à ces médecins courageux, mais aussi à ces gens qui, eux, ont le droit d’avoir le calme et de pouvoir restaurer leur ville.”
Il est des phrases qui peuvent changer le cours de l’histoire. Celle de votre mari quand Joe Biden, le lendemain de l’invasion d’Ukraine, le 24 février, lui a proposé de s’exfiltrer, lui et sa famille. ‘Je ne veux pas de taxi, je veux des armes pour me battre, pour résister’, a-t-il répondu. Vous a-t-il surpris, à ce moment-là ?
“Il ne m’a absolument pas étonnée. Et j’ai appris cette phrase bien plus tard, car, à ce moment-là, nous étions déjà séparés. J’étais dans une autre région de l’Ukraine pour des impératifs de sécurité, je devais être éloignée de lui et, malheureusement, pendant quelque temps, nous n’avions pas de contact. Ce n’est que plus tard, dans certaines interviews à la télévision ou sur Internet, que j’ai lu cette phrase. Mais je ne suis absolument pas étonnée, car il a dit la vérité. C’est effectivement ce dont nous avions besoin.”
N’avez-vous jamais pensé à partir ? Ces dix mois, vous et vos enfants…
“Je sais que beaucoup d’Ukrainiennes ont quitté le pays, justement pour les enfants. Et si on devait penser à sa famille uniquement sous cet angle-là, effectivement, j’ai peur pour mes enfants. Cette nuit, il y a eu une attaque massive de drones cette nuit sur la région de Kyiv. J’ai vu dans mon téléphone les alertes aériennes, avec cette application que tout ukrainien a. Et je lisais les nouvelles et j’attendais de savoir les résultats de cette attaque. Mais il y a aussi une autre responsabilité, lorsque moi et ma famille, nous sommes en Ukraine, nous sommes dans le même danger. Nous partageons ce danger que tous les autres, des millions de nos concitoyens qui sont restés.
Si j’étais parti, cela aurait été un signe terrible pour tous les autres. Moralement inacceptable, et incorrect, injuste de ma part de faire ce choix. Honnêtement, il est plus simple émotionnellement pour moi d’être aux côtés de mon mari.”
Les fêtes de Noël arrivent. Comment les Ukrainiens vont-ils fêter Noël, cette année, sous la guerre ?
“La grande bataille du moment est de savoir si l’on va installer les sapins dans les villes ou pas. Il y a vraiment des discussions âpres sur le sujet. Certains disent qu’il ne faut pas renoncer aux Fêtes, c’est aussi un symbole de notre résistance. Nous devons prouver que malgré tout, nous allons célébrer les Fêtes, entretenir notre esprit. Et d’autres se demandent comment on peut brancher les guirlandes lorsqu’il n’y a pas d’électricité et utiliser les générateurs, juste pour éclairer un sapin. Nous sommes dans un pays décentralisé. En Ukraine, chaque communauté locale décidera comment régler ce problème. Donc je suis curieuse, moi-même, de voir à quel point notre Noël sera éclairé.
Mais bien évidemment, nous percevons toujours Noël et le jour de l’An comme une fête de lumières, une fête d’espoir et nous attendons l’arrivée d’une nouvelle période pour tout un chacun. Je suis persuadée que tous les Ukrainiens n’auront qu’un souhait pour l’année prochaine, un vœu. C’est la paix. Je crois à la synergie et je crois que lorsque tout le monde veut la même chose, cela finit par arriver. À minuit, le 31 décembre, nous allons tous faire un vœu, et un même vœu.”
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