Monté à Paris, Lucien Chardon s’est introduit avec succès dans la presse et les milieux littéraires. Dévoré d’ambition, c’est un dandy enivré de gloire, même si pour cela, il a ruiné sa sœur et David, son ami imprimeur resté à Angoulême.
Monté à Paris, Lucien Chardon s’est introduit avec succès dans la presse et les milieux littéraires. Dévoré d’ambition, c’est un dandy enivré de gloire, même si pour cela, il a ruiné sa sœur et David, son ami imprimeur resté à Angoulême.
Considéré comme le chef-d’œuvre de Balzac, Illusions perdues ce sont trois romans publiés entre 1837 et 1843 qui, réunis sous ce titre commun en 1843, forment un triptyque pour la première édition de La Comédie humaine. Sept années de travail acharné et de déboires financiers durant lesquelles Balzac compose cette fresque du désastre, celui d’une jeunesse frénétique qui ne croit qu’au succès, en proie aux désillusions d’une époque dont elle ne retient que les renoncements et la compromission.
Nous sommes après la Révolution française et le premier Empire, en 1821 et 1822, sous la seconde Restauration (après la période des Cent jours), une monarchie constitutionnelle qui consolide le retour au pouvoir de la maison des Bourbons sous le règne de Louis XVIII, frère cadet de Louis XVI. Le pays reste dominé par les royalistes conservateurs dont les querelles avec les libéraux préfigurent les prémices de la Révolution de 1830.
Balzac envoie à Mme Hanska, dans une lettre datée du 7 décembre 1842 : « Illusions perdues vous ramène à Angoulême, et j’ai à faire le magnifique contraste de la vie de David Séchard en province avec Ève Chardon, pendant que Lucien faisait toutes ses fautes à Paris. Ce sont les malheurs de la vertu, opposés aux malheurs du vice, c’est d’une difficulté prodigieuse. Illusions perdues forme un gros volume de la Comédie humaine, et le titre sera bien justifié. »
Roman d’apprentissage, Illusions perdues est aussi un magnifique roman sur l’échec. La trajectoire ambitieuse de Lucien rappelle évidemment celle de Rastignac dans Le père Goriot (1835), mais ici elle s’inverse : le beau poète « pense bien mais agit mal » et, confronté à l’âpreté de la réalité, à la marchandisation de la littérature et au commerce des idées, il se fourvoie et finit par se compromettre, se corrompre. Il est une figure sublime de l’échec.
Même constat avec les « souffrances de l’inventeur » visionnaire David, qui rappellent inévitablement celles de son auteur lui aussi entrepreneur malheureux. Cette problématique des rapports de l’argent et de la création artistique intéresse vivement l’écrivain et il l’aborde sans concessions dans cette nouvelle « étude de mœurs » où l’on entrevoit le mécanisme réel de toutes choses, les lois et engrenages qui régissent le monde social et politique dont l’analyse s’inscrit dans la droite ligne de son projet : « Souvenez-vous seulement que l’auteur veut tout peindre du XIXème siècle, et faire en quelque sorte un état de situation de ses vices et de ses vertus. »
Ce siècle, en profonde et rapide transformation, Balzac cherche à le comprendre et à en conserver, grâce à la littérature, ses aspects les plus caractéristiques et déterminants. Quoique le monde qu’il observe soit en proie aux désordres ou déjà en train de disparaître, Balzac insuffle dans celui de ses personnages, dont bon nombre d’entre eux se rencontrent dans Illusions perdues, une organisation et une énergie prodigieuses. D’où cette urgence à écrire, cette effervescence qui irrigue toutes les pages de ce roman-fleuve d’une modernité incontestable. La preuve : notre époque contemporaine s’y retrouve et s’y regarde comme dans un miroir. Elle (re)découvre chez Balzac – et particulièrement donc dans Illusions perdues – l’inspiration poétique dont elle semble peut-être dépourvue.
Nos deux héros, le beau poète Lucien de Rubempré et son ami l’inventeur-imprimeur David Séchard, sont jeunes, talentueux, idéalistes mais sans argent. Ils aiment la littérature et caressent l’espoir de « s’y faire un nom et une fortune ».
Soutenu financièrement par David, l’ambitieux Lucien quitte Angoulême aux côtés de Mme de Bargeton, sa protectrice, pour faire ses débuts littéraires à Paris. Il y découvre les séductions et les dangers de la société parisienne, la « réalité désespérante » de la presse et l’impitoyable milieu du journalisme, les coulisses du théâtre et les transactions mesquines de la librairie (l’édition). Son succès est aussi fulgurant que fragile et là où un Rastignac réussit, Rubempré trébuche et succombe face aux jaloux et aux intrigants.
Aussi, la chute de Lucien est-elle à la hauteur de ses illusions. Les dettes s’accumulent et les revers se succèdent : ses amis l’abandonnent, l’actrice Coralie, sa jeune maîtresse, meurt de chagrin dans ses bras, et Lucien, acculé, détourne l’argent de David qu’il compromet, et ruine sa famille. De son côté, l’inventeur est aux prises avec ses redoutables concurrents, les frères Cointet, qui cherchent à étouffer économiquement son imprimerie, mais surtout à dérober le secret de ses recherches sur la fabrication du papier qu’il n’a malheureusement ni le temps ni les moyens de mettre à profit.
Ce qu’on nomme communément le cycle Vautrin, et que nous nous sommes proposé d’adapter pour la radio, telle une série comptant trois saisons, regroupe trois romans majeurs de La Comédie humaine autour du personnage de l’ancien forçat évadé du bagne de Toulon, l’emblématique « Trompe-la-Mort » ou Jacques Collin alias Vautrin, conçu par son auteur comme « une espèce de colonne vertébrale qui, par son horrible influence, relie pour ainsi dire Le père Goriot à Illusions perdues, et Illusions perdues à Splendeurs et misères des courtisanes ». C’est notamment avec cette trilogie et avec le personnage de Vautrin que Balzac consolide la modernité de son œuvre et met en place le retour des personnages dans La Comédie humaine , cet ambitieux édifice littéraire de 26 tomes et 95 œuvres. Ce procédé qui consiste à faire réapparaître des protagonistes à des âges différents et dont le rôle est plus ou moins important d’un roman à l’autre, permet à Balzac d’inclure implicitement ses lecteurs dans la création littéraire en engageant leur imagination évidemment, mais surtout leur mémoire.
Quelques lignes lues dans un paragraphe ici évoqueront tout un roman là ; tout ce qu’on sait d’un personnage ou d’un événement rencontré ici nous fera comprendre qu’il n’était peut-être pas ce qu’il semblait être là… Cette densité littéraire, ces nuances et cette complexité dramatique enthousiasment chaque lecteur de La Comédie humaine, comme Marcel Proust qui distingue le coup de génie : « Chaque mot, chaque geste, a ainsi des dessous dont Balzac n’avertit pas le lecteur et qui sont d’une profondeur admirable. Ils relèvent d’une psychologie si spéciale, et qui, sauf pour Balzac, n’a jamais été faite par personne, qu’il est assez délicat de les indiquer ». Proust retiendra d’ailleurs la réapparition inattendue et spectaculaire de Vautrin dans les dernières pages d’Illusions perdues – deux ans après son arrestation dans Le père Goriot selon la chronologie balzacienne et un peu plus d’un an et demi avant sa dernière et diabolique incarnation dans Splendeurs et misères des courtisanes – comme un monument de la littérature : « C’est si beau ! » s’écrit avec admiration le baron Charlus dans Sodome et Gomorrhe.
Dans la continuité du travail réalisé pour le premier volet du cycle Vautrin avec Le père Goriot en 2019, cette adaptation radiophonique d’Illusions perdues par France Culture se veut aussi fidèle que possible au roman, aussi bien dans l’esprit qu’à la lettre. L’immense privilège de la radio est de pouvoir faire entendre la langue de Balzac, on serait presque amené à dire « sa voix » tant l’interprétation magistrale de Michel Vuillermoz dans le rôle du narrateur est saisissante de justesse.
À ses côtés, plus d’une centaine de comédiennes et comédiens talentueux pour incarner les personnages de cette fresque parisienne et provinciale : avec notamment Bastien Chevrot (Lucien de Rubempré), Fabien Rasplus (David Séchard), Florence Le Corre (Mme de Bargeton), François de Brauer (Lousteau), Clémentine Aussourd (Coralie), Gabriel Dufay (Finot), Léonie Pingeot (Ève), Marie Rémond (Mme d’Espard). Et par fidélité au système balzacien du retour des personnages, l’on distinguera également le retour des comédiens entendus dans Le Père Goriot : Clément Bresson (Vautrin) et Lionel Lingelser (Rastignac) entre autres.
Même continuité artistique et esthétique avec le compositeur et multi-instrumentiste Manuel Peskine, qui après avoir composé la musique originale du père Goriot, signe celle de ces Illusions perdues. Elle a été enregistrée en juin 2022 dans le mythique Studio Ferber à Paris, avec la participation de plus d’une vingtaine de musiciens (instruments à cordes), d’un piano et d’une guitare électrique. La partition sensible et mélancolique de Manuel Peskine accompagne autant le parcours désenchanté des personnages que la structure narrative de cette tumultueuse histoire aux multiples enchâssements et ellipses, créant ainsi comme des repères pour l’auditeur.
D’autres repères étaient essentiels pour cette adaptation radiophonique : les décors. Nombreux et variés parmi ces scènes de la vie parisienne et de la vie de province, il fallait faire entendre la multiplicité des lieux (plus d’une trentaine de décors aux acoustiques différentes). Pour y parvenir, France Culture a fait appel aux services de Valérie Novel, repéreuse au cinéma. Ainsi les enregistrements (qui ont duré près de quatre semaines au printemps 2022) ont commencé dans les studios d’Hiventy à Boulogne-Billancourt, puis se sont déployés entre un petit château de Rueil-Malmaison, le village et une maison des Mesnuls dans les Yvelines, un hôtel particulier du XVIème arrondissement de Paris et le théâtre du Ranelagh…
La Comédie humaine sur France Culture, dans le Feuilleton : Petites misères de la vie conjugale, feuilleton en 10 épisodes diffusion septembre 2014 (avec la Comédie-Française).
Le cycle Vautrin
I. Le Père Goriot, feuilleton en 10 épisodes diffusion septembre 2019.
II. Illusions perdues, feuilleton en 15 épisodes diffusion octobre 2022.
III. Splendeurs et misères des courtisanes, feuilleton en 10 épisodes (en préparation).
Générique complet : Michel Vuillermoz (le narrateur), Bastien Chevrot (Lucien Chardon de Rubempré), Albert Delpy (Séchard Père), Fabien Rasplus (David Séchard), Léonie Pingeot (Eve Chardon), Florence Le Corre (Madame de Bargeton) , François de Brauer (Etienne Lousteau) , Clémentine Aussourd (Coralie) , Clément Bresson (Carlos Herrera/Vautrin), Pierre Alain Chapuis (Sixte du Châtelet) , Marie Rémond (la Marquise d’Espard), Cécile Bournay (Amélie de Chandour), Marc-Henri Boisse (Monsieur de Bargeton), Laurent Natrella (Stanislas de Chandour), Didier Brice (Astolphe de Saintot), Jean-Cristophe Frêche (Adrien de Bartas), Caroline Arrouas (Joséphine de Bartas), Julie Quesnay (Charlotte de Brebian), Cyril Bothorel (Francis du Hautoy), Marie-Anne Mestre (Elisa de Saintot), Valérie Moinet (Zéphirine de Sénonches), Jacques Poix Terrier (Jacques de Sénonches), Catherine Sauval (Madame Chardon), Philippe Dusigne (L’évêque), Laurent Claret (Gentil), Pierre Carbonnier (Canalis), Antonin Meyer Esquerré (Henri de Marsay), Marie-Laudes Emond (Albertine), Claude Aufaure (Doguereau), Vincent Berger (Daniel D’Arthez), Laurent Ménoret (Michel Chrestien), Léo Dussollier (Bianchon), Léon Bonnaffé (Fulgence Ridal), Olivier Martinaud (Léon Giraud), Grégoire Baujat (Joseph Bridau), Sébastien Faglain (Postel ), Hervé Quentric (L’inconnu), Francis Coffinet (Le Contrôleur), Ismael Ruggiero (Barbet), Gabriel Dufay (Finot), David Migeot (Emile Blondet), Philippe Dormoy (Dauriat), Scali Delpeyrat (Félicien Vernou), Laurent Charpentier (Raoul Nathan), Julien Cigana (Généal Foy), Clément Morinière (Jean-François du Bruel), Philippe Crubézy (Le directeur du Théâtre), Julien Muller (Matifat), Manon Combes (Florine), Maïa Guérite (La Florville), Mathilde Charbonneaux (Coralie), Philippe Bertin (Camusot), Damien Houssier (Hector Merlin) , Rainer Sievert (Ministre Allemand) , Lionel Lingelser (Rastignac), Julien Allouf (Claude Vignon), Pierre-François Garel (Fendant), Jérémie Bédrune (Cavalier), Olivier Bonnaud (Le Rédacteur), Romain Francisco (Frédéric), Clément Aubert (Duc du Réthoré), Géraldine Martineau (Comtesse de Montcornet), Hortense Monsaingeon (La portière), Arnaud Pfeiffer (Le Régisseur), Pénélope Lucbert (Une Actrice), Pierre Poirot (Des Lupeaulx), Johann Proust (Le secrétaire général), Matthieu Rocher (Le chirurgien), Vincent Schmitt (Boniface Cointet), Jean-Christophe Quenon (Jean Cointet), Théo Comby-Lemaître (Petit Claud), Jules Ritmanic (Cérizet), Catherine Jabot (Madame Courtois), Dominique Parent (Monsieur Courtois), Lionel Bécimol (Docteur Marron), Jacky Nercessian (Abbé Maron), Thibault Corrion (Métivier), Julie Pilod (Marion), Antoine Baillet-Devallez (Un passant), Emmanuel Bloch (Cachan), Jean-Charles Di Zazzo (Doublon), Gauthier Baillot (Le facteur)
Et Mathilde Choisy, Damien Paisant, Sophie Planté, Jules Churin, Antoine Sastre, Myren Astrée, Sohan Pague, François Pain-Douzenel, Léa Binsztok, Mélanie Belamy, Clément Gaucher, Stéphane Meziani, David Brémaud, Marina Cappe et Elodie Huber.
30 minutes d’espace de création radiophonique, de grandes adaptations d’œuvres du patrimoine classique et contemporain pour mêler tous les métiers et les talents de la radio.