PODCAST. Des super-régions, vraiment ? – L'Express

Économies, compétitivité, fin du mille-feuille territorial… Les nouvelles grandes régions françaises promettaient bien des changements. Mais qu’en est-t-il vraiment ?
Benjamin Chazal et Thibaut Zschiesche / L'Express et Clément Mahoudeau / AFP
Benjamin Chazal et Thibaut Zschiesche / L'Express et Clément Mahoudeau / AFP
Avant le vote de dimanche, La Loupe les passe au vérificateur, avec Béatrice Mathieu, cheffe du service économie et Eric Mandonnet, chef du service politique de L’Express.
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L’équipe : Xavier Yvon (écriture et présentation), Margaux Lannuzel (écriture), Lison Verriez (montage), Louis Coutel (réalisation), Mathias Penguilly (stagiaire).
Crédits : BFMTV, Franceinfo, France 3
Musique et habillage : Emmanuel Herschon / Studio Torrent
Logo : Justine Figueiredo
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Xavier Yvon : Les nouveaux noms des grandes régions, on a tous fini par s’y faire… Enfin, plus ou moins, si on en croit les Français que nous avons interrogés dans la rue cette semaine… Et ça aurait pu être pire : ce dimanche, certains d’entre nous auraient pu aller voter en Nouvelle-Austrasie, en Franche-Bourgogne voire même en région R2A. Depuis le passage de vingt-deux à treize régions, c’est la première fois que les électeurs pourront juger le bilan de ces nouveaux grands ensembles territoriaux, voulus par François Hollande. Si en 2016, on a beaucoup parlé de cette histoire de nom, l’enjeu n’était pas là. Cette réforme devait permettre : un, de faire des économies d’échelle, deux, de créer des super régions compétitives en Europe et trois, de simplifier le millefeuille territorial. Où en est-on aujourd’hui ? Il est temps pour nous d’appuyer sur le bouton vérificateur de la Loupe. Pour mener cette séance de fact-checking, j’ai à mes côtés Béatrice Mathieu, la vérificatrice en chef du service Économie de L’Express.
André Vallini : “À moyen terme, entre cinq et dix ans, en faisant des économies d’échelle, en supprimant les chevauchements de compétences, les doublons, on peut arriver à une dizaine de milliards d’euros d’économies.”
Xavier Yvon : Ça, c’était la prévision d’André Vallini, qui était alors secrétaire d’État à la Réforme territoriale. Il dit cinq à dix ans… C’était il y a sept ans : nous sommes donc en droit de vérifier aujourd’hui, s’il avait vu juste. Béatrice, la France a-t-elle réellement économisé 10 milliards d’euros avec cette réforme ?
Béatrice Mathieu : Première réponse : non. Le budget total des régions françaises, c’est une trentaine de milliards d’euros. Faire des économies de 10 milliards sur 30 milliards, c’était quand même considérable. En réalité, l’objectif n’a pas été atteint.
Xavier Yvon : Et dans le détail, pourquoi n’y a-t-il pas eu ces économies ? On parlait d’économies d’échelle, d’harmonisation des salaires, de réduction du nombre de fonctionnaires…
Béatrice Mathieu : Quand on parle de fusions, on prend toujours l’exemple des fusions d’entreprises. En fusionnant deux entreprises en général, on réalise souvent des économies de personnel : il y a deux directeurs financiers : on en garde qu’un. Il y a deux DRH : on n’en garde qu’un aussi… Il en va de même pour les bâtiments : on n’a plus besoin de deux sièges sociaux… Concrètement, comment ça s’est passé pour les régions ? Concernant la masse salariale, le problème, c’est que très vite, les nouveaux présidents de région se sont aperçus qu’il y avait des écarts considérables de rémunération. Hervé Morin, le président de la région Normandie, nous disait avoir découvert qu’entre la Haute-Normandie et la Basse-Normandie, il y avait un écart de rémunération presque équivalent à un mois de salaire, sur l’ensemble de l’année. Évidemment, il a fallu harmoniser et en général – et c’est assez normal – l’harmonisation et l’alignement s’est fait par le haut. Cette hausse de rémunération a pesé dans l’addition finale.
Xavier Yvon : Dans les promesses, on parlait aussi d’une économie sur les bâtiments. On fusionne plusieurs régions, on n’a plus besoin que d’un seul hôtel de région…
Béatrice Mathieu : Cela aussi, ça ne s’est pas passé comme prévu. D’abord, parce qu’il y a des fusions qui ont accouché de grandes régions géographiques : on a donc gardé plusieurs sièges malgré tout, en spécialisant les hôtels des régions. La direction des affaires économiques dans telle ancienne région, le tourisme et la direction financière dans telle autre… Finalement, on a gardé des antennes un peu dans toutes les anciennes capitales de région…
Xavier Yvon : Et cela vaut-il aussi pour les régions qui n’existent plus, comme le Limousin par exemple ?
Béatrice Mathieu : Bien sûr ! Il reste des fonctionnaires et des activités de la région à Limoges…
Xavier Yvon :… alors que la capitale de la Nouvelle-Aquitaine, c’est Bordeaux. Béatrice, cette fusion a-t-elle tout de même permis quelques économies par-ci, par-là ou au contraire, est-ce qu’il n’y a donc pas eu d’économies du tout ?
Béatrice Mathieu : Non, non, il y en a quand même eu. Elles ne sont pas importantes, mais il y a par exemple eu des économies d’échelle sur les achats. La massification des contrats d’assurance par exemple, a permis de négocier des tarifs. De même, les régions ont fait des économies sur les fluides, comme le chauffage, l’essence… et même les flottes de véhicules ! De fait, il y a eu des réductions de frais, mais pas du tout à la hauteur de ce qu’on imaginait. On n’a pas eu ces fameux 10 milliards, promis par André Vallini.
Xavier Yvon : Donc verdict du vérificateur de la Loupe : c’est “non”. Il n’y a pas eu les économies prévues.
Manuel Valls : “L’essentiel est de réduire le nombre de régions en regroupant les régions existantes pour rendre nos régions plus fortes, plus compétitives. Elles vont avoir beaucoup plus de compétences, notamment en matière d’Économie et d’Emploi.”
Xavier Yvon : Lorsqu’il était Premier ministre, l’idée de Manuel Valls, c’était de créer des super-régions capables de concurrencer les Länder allemands ou les communautés autonomes espagnoles. Là encore, Béatrice, on va vérifier : ces nouvelles super-régions françaises, qu’ont-elles gagné en fusionnant ?
Béatrice Mathieu : Elles ont gagné des compétences en plus, notamment grâce à une loi votée en 2015 – la loi NOTRe – qui donne des compétences élargies aux régions en termes de développement économique, par exemple. Ça, c’est très important : avec cette compétence économique, elles ont la possibilité de spécialiser la région, de faire travailler plus les universités avec des PME ou avec des grands groupes. Par ailleurs, elles ont aussi obtenu la gestion du réseau de transport interurbain… Enfin, l’avantage d’avoir des régions plus grandes, c’est qu’elles peuvent bénéficier de fonds européens qui ne sont donnés qu’à partir d’une certaine taille critique. Marie-Guite Dufay, la présidente de la région Bourgogne Franche-Comté, nous disait par exemple qu’elle a pu obtenir des fonds de la Banque européenne d’investissement pour rénover les lycées, justement parce que sa juridiction avait atteint une taille critique.
Xavier Yvon : Peut-on en conclure qu’il s’agit d’un pari réussi ? Avec tout cela, nos régions peuvent-elles rivaliser avec leurs voisines européennes ?
Béatrice Mathieu : Pas vraiment… Finalement, quand on regarde les moyens qu’elles ont à leur disposition et leur budget (30 milliards d’euros pour toutes les régions françaises) c’est totalement ridicule par rapport au budget des Länder allemands ou des régions espagnoles…
Xavier Yvon : Cela veut donc dire que nos régions ont de nouvelles compétences, une plus grande taille et donc, plus de pouvoir, mais qu’on ne leur donne pas les moyens de l’exercer…
Béatrice Mathieu : C’est cela. Elles ont énormément de compétences. Sur le papier, elles ont énormément de pouvoir, mais là où cette “décentralisation à la française” a une limite, c’est qu’elles n’ont pas de pouvoir fiscal. En d’autres termes, elles ne peuvent pas ajuster les montants d’imposition pour attirer plus d’entreprises et aboutir leur spécialisation économique. Les régions aujourd’hui, n’ont pas ce pouvoir-là, ce qui limite d’une certaine façon, la décentralisation.
Xavier Yvon : Elles ont donc plus de compétences, mais pas assez d’autonomie. Même constat pour le vérificateur de la Loupe… C’est un deuxième “non” : nos régions ne sont pas plus compétitives en Europe.
Stéphane Le Foll : “Est-ce qu’on peut accepter l’idée toute simple de se réorganiser pour être plus efficace ? Je crois que c’est nécessaire…”
Xavier Yvon : Stéphane Le Foll, lorsqu’il était porte-parole du gouvernement, promettait la fin du fameux “mille-feuille territorial”. On l’a déjà évoqué, Béatrice : la simplification, c’était la cerise sur le gâteau de la réforme : il était prévu de supprimer les départements, mais ça aussi, ça n’a pas abouti…
Béatrice Mathieu : Non, non, ça ne s’est jamais fait. Le mille-feuille territorial est donc toujours aussi gras ou aussi épais. Tout en haut, on a les régions, après, on a toujours les départements. Maintenant, on a aussi les intercommunalités et les communes… Chaque échelon a sa spécialité. Prenons l’exemple de l’école : ce sont les régions qui s’occupent de la gestion des lycées, et notamment du personnel non-enseignant, mais ce sont les départements qui s’occupent des collèges et ce sont les communes qui s’occupent des écoles élémentaires. Même constat sur la question du chômage : ce sont les régions qui s’occupent de la formation des chômeurs, mais ce sont les départements qui payent le RSA.
Xavier Yvon : C’est donc toujours aussi compliqué… Les départements sont restés et ils possèdent toujours autant de poids.
Béatrice Mathieu : Oui, notamment en termes de poids financier. Revenons à ce qu’on disait quand on regardait le décalage entre la taille de ces régions, leur surface politique avec des poids-lourds politiques comme Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez et la réalité de leur budget. 30 milliards pour l’ensemble du budget des régions face à une soixantaine de milliards pour l’ensemble du budget des départements, c’est un écart notable.
Xavier Yvon : Donc, le millefeuille est toujours là, et c’est encore un “non” pour le vérificateur de La Loupe. Bilan des courses : cela fait donc trois “non” pour les nouvelles grandes régions. Le bilan n’est pas terrible et pourtant, les cadors de la politique se bousculent pour s’y faire élire… Je vous présente Éric Mandonnet qui est chef du service Politique de L’Express et qui vient de nous rejoindre. On a vu que ces grandes régions n’ont pas tant de poids que ça, et pourtant Éric, il y a du beau monde sur les listes électorales pour le vote de dimanche.
Éric Mandonnet : C’est sûr que le bilan politique est bien meilleur que le bilan économique : au sein des régions, il y a maintenant des candidats, des présidents de région qui vont jouer la présidentielle aux élections régionales. Ce scrutin sert de primaire, notamment pour les candidats de la droite, ce qui prouve bien que ces nouvelles juridictions ont acquis une forme de lisibilité politique, de notoriété, même si les compétences ne sont pas à la hauteur de l’ambition politique des présidents de région.
Xavier Yvon : Parmi ces présidents de région, lesquels ont des ambitions politiques présidentielles ?
Éric Mandonnet : À droite, il y a trois présidents sortants : Valérie Pécresse en Île-de-France, Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes et Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France. Ils jouent beaucoup lors de ces élections régionales. En termes de “parts de marché” électorales, la présidente de région Île-de-France est la deuxième personne la mieux élue de France, après le Président de la République. En France, il y a 47 millions d’électeurs ; en Île-de-France, il y a 7 millions d’électeurs – dont beaucoup n’iront sans doute pas voter, certes – mais c’est quand même un potentiel électoral très fort. Laurent Wauquiez, lui, a plus de 5 millions d’inscrits en Auvergne-Rhône-Alpes, et la région Hauts-de-France compte plus de 4 millions d’inscrits. Si vous êtes élu par dans une région avec un tel potentiel électoral, vous avez déjà fait une part du chemin (encore long, certes), qui conduit à l’Élysée.
Xavier Yvon : C’est donc pour cela que ces régions, qui n’ont pas beaucoup de pouvoir réel, sont quand même considérées comme de vrais tremplins pour ces hommes et femmes politiques.
Éric Mandonnet : Oui, très clairement. Ce n’est pas vraiment nouveau : en 2004, Ségolène Royal gagnait la région Poitou-Charentes, et ça lui a servi de tremplin pour la présidentielle de 2007. Cette fois-ci, les personnalités de droite, qui ont un peu oublié ce qu’était une responsabilité nationale – leurs dernières expériences ministérielles remontent à 2012 – regardent ce qui existe sur le marché comme poste avec des responsabilités valorisantes, et forcément président de région… Le conseil départemental n’est pas assez lisible… Pour de nombreux électeurs, c’est comme s’il n’existait pas. Le mandat de député, c’est compliqué : c’était un mandat payant par le passé, mais qui ne paye plus tellement. Enfin, certains essayent de jouer la carte de maire, c’est vrai, mais ils sont de plus en plus nombreux à vouloir jouer celle de président de région.
Xavier Yvon : Pourquoi cela ? Est-ce un moyen de montrer qu’ils sont capables de gouverner un territoire ?
Éric Mandonnet : Ils en rêvent, même si ce n’est pas tout à fait le cas. Prenons l’exemple de Xavier Bertrand. D’emblée, le candidat à l’Élysée a abattu la carte régalienne, mais le président des Hauts-de-France n’a pas de résultat à montrer en la matière, parce que la sécurité et l’immigration ne sont pas de la compétence d’un président de région. Ils veulent donc montrer au moins une espèce de savoir-faire en surfant sur l’actualité. On a, par exemple, vu comment tous les présidents de région sont sortis de leur champ de compétence au moment de la crise sanitaire, notamment avec la question des masques. Jusqu’à présent, la Santé n’est pas une compétence de la région : ce sont tout sauf des gouverneurs à l’Américaine. Il n’y a pas cette tradition en France. Une tradition peut évoluer, ceci dit. Depuis 2017 cependant, Emmanuel Macron a tout fait pour rabaisser les présidents de région. Il a évidemment perçu le danger d’avoir des gouverneurs à l’Américaine, et il a tout fait pour tenir les présidents de région à l’écart d’une forme de notoriété nationale.
Xavier Yvon : La région deviendra-t-elle la voie royale vers l’Élysée ? Nous ressortirons le vérificateur de la Loupe dans moins d’un an. Merci Éric Mandonnet, chef du service Politique de L’Express, et Béatrice Mathieu, cheffe du service Économie. On peut retrouver tous vos articles et on suivra les résultats des régionales sur le site de L’Express. En attendant, si vous avez apprécié cet épisode, vous pouvez déjà voter pour La Loupe. Il suffit de glisser votre doigt sur l’écran pour nous mettre des étoiles sur vos plateformes d’écoute.
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