Inflation : le "dividende salarié" promis par Macron, une bonne idée ? – lexpansion.lexpress.fr

Emmanuel Macron au XVIIIe sommet de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui s'est tenu les 19 et 20 novembre à Djerba, en Tunisie.
AFP
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Nous sommes au début du mois de mars 2022 et Emmanuel Macron dévoile enfin son programme pour l’élection présidentielle. La France est presque sortie de l’hiver et d’une énième vague de Covid. L’air pourrait enfin paraître plus respirable, s’il n’y avait une autre angoisse en train de contaminer les esprits… Depuis l’été, les prix s’emballent, et l’inflation semble s’incruster dans le paysage. Un nouveau carburant est en train de l’alimenter : la Russie a envahi l’Ukraine quelques jours auparavant et les prix de l’énergie et des matières premières s’affolent à nouveau.  
A chaque passage à la pompe, le chiffre sur le ticket de caisse grossit et les Français commencent à s’inquiéter pour leur pouvoir d’achat, malgré le bouclier tarifaire mis en place depuis le début de l’automne par le gouvernement pour alléger les factures d’électricité et de gaz. Au même moment, le bal des résultats annuels des entreprises du CAC40 vient de commencer. Beaucoup atteignent des sommets historiques, alimentant un ressentiment qui n’a jamais cessé d’exister entre l’Hexagone et les profits. Pourtant, contrairement aux autres candidats, le président sortant n’a pas mis l’accent sur le pouvoir d’achat, et il faut chercher dans son programme les rares mesures répondant à cette préoccupation des salariés. Parmi elles, une expression a fait son apparition : le “dividende salarié”. 
Un “dividende salarié” passé à la trappe lors de loi pouvoir d’achat adoptée cet été… Mais qui a fait son grand retour à l’automne. Alors que le ministre du Travail Olivier Dussopt s’apprête à donner le top départ des négociations entre les organisations patronales et les syndicats sur le partage de la valeur ajoutée, le chef de l’Etat remet sa proposition sur la table en déclarant lors d’une interview sur France 2 : “Quand vous avez d’un seul coup une augmentation des dividendes pour vos actionnaires, alors l’entreprise doit avoir un mécanisme qui est identique pour les salariés”.  
Branle-bas de combat dans la Macronie. Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, et Olivia Grégoire, ministre déléguée en charge des PME, montent au front pour défendre le dispositif. “On ne peut plus faire l’économie du débat sur le partage de la valeur”, déclare la ministre dans une interview à l’Express début novembre. Une convention consacrée à ce sujet est annoncée pour le début de l’année prochaine, et Pascal Canfin, secrétaire général délégué de Renaissance et eurodéputé, est chargé de mener la réflexion dans le cadre du parti présidentiel. Pendant un temps, l’idée d’un “amendement dividende salarié” ajouté au projet de loi de finances émerge même… Avant d’être enterrée par le porte-parole du gouvernement Olivier Véran, renvoyant le sujet à un projet de loi ultérieur. 
Un retour à l’agenda loin d’être anodin… Si la forme exacte que pourrait prendre le dispositif est encore floue, son principe est clair – permettre un meilleur partage des profits des entreprises en direction des salariés – et semble faire figure de recette magique pour répondre à un certain nombre de préoccupations. En premier lieu, les revendications salariales qui ne cessent de monter et qui promettent des moments houleux dans les entreprises à l’approche des NAO (négociations annuelles obligatoires). Car pour l’instant, le compte n’y est pas. Malgré les augmentations consenties par beaucoup de boîtes, les salaires réels dans le secteur privé ont baissé de 2% au troisième trimestre selon la DARES… Et le gouvernement refuse catégoriquement d’entendre parler d’indexation des salaires sur l’inflation, comme le demandent certains syndicats.  
“Il s’agit en effet d’une mauvaise solution, car elle ancre les anticipations d’inflation et risque donc de faire perdurer la dynamique de hausse des prix”, estime Philippe Martin, doyen de l’École d’affaires publiques à Sciences Po. “Et une hausse généralisée des salaires serait destructrice d’emplois : au contraire, un mécanisme réversible permet de répondre à la demande de hausse de salaires tout en prenant en compte la situation de chaque entreprise et l’incertitude dans laquelle elles baignent aujourd’hui”, affirme Marc Ferracci, député Renaissance et spécialiste du marché du travail. L’idée de dividende salarié permettrait également d’enterrer définitivement l’idée de taxe sur les surprofits qui a émergé à la suite des résultats exceptionnels des pétroliers et des compagnies maritimes et agite les débats depuis des mois… et qui ne fait pas bondir de joie l’exécutif, attaché à sa promesse de ne pas augmenter les impôts.  
En plus de ces avantages à court terme, l’idée d’un meilleur “partage de la valeur” est depuis longtemps un item cher au macronisme : en 2019, la loi PACTE a assoupli les conditions pour la mise en place de la participation et de l’intéressement, et la prime “pouvoir d’achat” instaurée en 2018 a été rebaptisée cet été “prime de partage de la valeur”. “Pour ceux qui regrettent la conflictualité très latine de notre marché du travail et envient le fonctionnement plus coopératif des pays nordiques ou de l’Allemagne, l’instauration d’une participation plus systématique des salariés aux bénéfices est une manière de pacifier les relations”, analyse Eric Dor, directeur des études économiques de l’IESEG School of Management.  
“Un dispositif de partage de la valeur comme la participation permet de créer un intérêt commun entre les salariés et les actionnaires : la réussite de l’entreprise”, ajoute Gilbert Cette, professeur d’économie à Neoma Business School, et spécialiste du marché du travail. Et même si les mécanismes de “partage de la valeur” au-delà des salaires sont aujourd’hui nombreux, ils n’empêchent pas les “trous” dans la raquette : l’intéressement et la prime Macron sont facultatifs, tandis que la participation n’est obligatoire que dans les entreprises de plus de 50 salariés… Laissant ainsi de côté de nombreux salariés de PME ou de TPE. Aujourd’hui, seulement un salarié sur deux a accès à un dispositif d’intéressement et de participation. “De plus, la formule de calcul est aujourd’hui incompréhensible pour les salariés et pour de nombreux chefs d’entreprise : il faudrait la simplifier”, soupire Thibault Lanxade, patron de Luminess, ancien vice-président du Medef et théoricien du “dividende salarié”. “Elle est aussi obsolète, basée sur des fondements macroéconomiques qui n’ont plus lieu d’être”, expliquait Olivia Grégoire dans son interview à l’Express
Si l’idée paraît à première vue astucieuse pour cocher l’ensemble de ces objectifs, elle demeure pourtant loin d’être suffisante. “Proposer un “dividende salarié” comme compensation à l’absence de hausse des salaires est un moyen de contourner notre modèle social qui est construit sur ces derniers : ils permettent aux salariés de cotiser, pour la retraite par exemple, et à l’Etat de se financer”, souligne Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE. De plus, le “dividende salarié” est par définition temporaire et aléatoire : il ne permet pas de combler définitivement l’écart qui s’est creusé entre le niveau des prix et celui des salaires. Même si l‘inflation se calme et retrouve un rythme “normal”, les prix sur les étiquettes eux ne redescendront pas… A moins de tomber dans une crise grave et un scénario déflationniste, ce qui paraît relever à court terme de l’économie-fiction.  
Ces deux arguments expliquent la réticence des syndicats qui préféreraient voir la question des hausses de salaires inscrites à l’agenda. Mais les organisations patronales sont également frileuses et y voient un énième dispositif kafkaïen. Les petits patrons surtout, qui ne se rémunèrent pas forcément en salaire, mais en dividendes, freinent des quatre fers. Reste aussi à savoir quelle forme elle pourrait prendre concrètement. Faut-il ajouter ce dispositif à côté des autres ? Ou améliorer les dispositifs existants ? Les deux ? “Absorber un choc temporaire avec un nouvel outil ne me paraît pas être la bonne option : nous allons rajouter encore de la complexité à notre système qui l’est déjà beaucoup”, prévient Philippe Martin. Autant de questions qui vont agiter partenaires sociaux, politiques et experts dans les prochaines semaines. 
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