Bus & car – L'interconnexion n'est plus assurée – Le Monde

L'interconnexion n'est plus assurée
Chronique impatiente de la mobilité quotidienne
Ils sont d’accord sur l’essentiel. Oui, bien entendu, ils veulent désaturer les réseaux de transport, améliorer le confort des passagers, promouvoir le vélo, créer des voies de covoiturage. Certes, chacun a ses marottes. La candidate soutenue par le PS, Audrey Pulvar, tient à la « gratuité des transports » (pour les usagers, pas pour les contribuables). Le candidat d’extrême-droite Jordan Bardella veut que des agents arpentent les stations de métro avec des armes. Laurent Saint-Martin (LREM) reprend le refrain de « l’écologie non contraignante » qui consiste en pratique à ne rien changer. Mais pour le reste, les listes qui se présentent aux régionales franciliennes ne souhaitent que le bien des usagers (détails ici, dans Le Parisien).
Lire aussi: Se déplacer n’est jamais gratuit, quel que soit le sens qu’on donne au mot « gratuit » (mars 2018)
Trajets éprouvants. En Ile-de-France, plus que dans n’importe quelle autre région, les transports constituent le thème principal des élections régionales des 20 et 27 juin. Plus de 8 millions de voyages étaient effectués chaque jour dans les années 2010 dans les RER, bus, métros ou tramways. Les conditions éprouvantes de certains de ces trajets sont connues de la France entière, par le biais des reportages télévisés récurrents: foule qui se presse, retards impromptus, trains courts aux heures de pointe, couloirs anxiogènes, absence de toilettes, etc. La pollution atmosphérique, le bruit pétaradant des scooters, le réchauffement climatique, sont des réalités concrètes. La mobilité, en région parisienne, est d’abord subie.
Seul dans sa voiture = privilège. Les solutions, connues depuis longtemps, n’ont pas échappé aux candidats. Dans cette agglomération de 12 millions d’habitants, ce qui manque le plus, c’est l’espace. Celui qui effectue un trajet seul dans sa voiture, surtout là où il existe une alternative, est de facto un privilégié, au sens où il occupe à lui tout seul un espace où pourraient voyager quatre personnes (en covoiturage) ou dix personnes (à vélo). Or, ces deux modes de transport sont totalement sous-utilisés.
A écouter (15′): « Lost in transportation, le stationnement des voitures », par la société de conseil 6T.
RER V comme vélo. Les candidats s’engagent, presque tous, à matérialiser le « RER V », V comme vélo, conçu par le Collectif vélo Ile-de-France. Ils l’ont affirmé lors du débat (vidéo ici) organisé le 4 mai par le Forum des vies mobiles et la Fabrique écologique. Même Jordan Bardella (qui était absent de ce débat, peut-être effrayé par les questions techniques qu’on pourrait lui poser) veut davantage de vélo, tout en s’insurgeant contre « la guerre infernale menée aux automobilistes ». Sauf qu’on ne fait pas de politique vélo efficace, dans une région aussi dense, sans prendre de l’espace à la voiture.
Cela dit, les candidats n’expliquent pas vraiment comment ils arriveront à convaincre les maires réfractaires, les départements hésitants, les services habitués à faire de la route parce qu’on fait comme ça depuis toujours.
Infrastructures retardées. Du côté des réseaux de transports en commun, l’amélioration de la fiabilité repose en partie sur la réalisation d’infrastructures, dont beaucoup ont été retardées ou bloquées, comme le déplore l’Association des usagers des transports (AUT) en Ile-de-France: extensions de tramways, bus circulant dans des voies dédiées, voies supplémentaires pour le RER C, etc.
Le bus doit être prioritaire sur la voiture. Mais la fluidité des transports publics nécessite aussi des aménagements beaucoup moins coûteux et complexes que les grands chantiers, presque des petites choses. Là encore, il s’agit d’optimiser l’espace. Les bus, dans lesquels les Franciliens effectuaient, en 2018, 4 millions de déplacements chaque jour, butent encore sur les encombrements. Or, les bus devraient être prioritaires, partout, sur les voitures, les scooters et les vélos. Les couloirs réservés manquent, certaines municipalités refusent de les matérialiser, et les feux sont rarement synchronisés pour donner la priorité aux transports en commun. En outre, comme l’explique l’AUT, les arrêts sont parfois mal positionnés, certaines gares sont desservies par une ligne de bus dans un sens mais pas dans l’autre, etc. En d’autres termes, il faut prendre de la place à la voiture pour la donner au bus.
Sur ces points, les programmes demeurent flous. Les candidats promettent « 500 bus de plus » (Valérie Pécresse, soutenue par LR), « des arrêts à la demande en soirée » (Audrey Pulvar), veulent « modifier la motorisation du parc de bus » (Julien Bayou, EELV) ou « augmenter la flotte en grande couronne » (Clémentine Autain, LFI-PCF).
Toujours plus de monde. Mais tous ces engagements butent sur une réalité que les candidats peinent à intégrer. Tant que la région cherchera à attirer davantage d’entreprises, d’emplois et donc d’habitants, les transports, par la route ou par le fer, publics comme individuels, seront de plus en plus saturés. Et, incidemment, cette attractivité à tout prix fera monter les prix de l’immobilier. Stéphane Beaudet, vice-président sortant chargé des transports, le disait sans fard en 2018, bien avant la campagne électorale:  « On investira 24 milliards d’euros d’ici à 2025 pour remettre le réseau en état. Mais il est certain que, malgré cet investissement, on n’aura pas désaturé le réseau en 2025 ».
L’attractivité à tout prix, une fuite en avant. En d’autres termes, la région parisienne ne peut devenir vivable pour ses habitants que si elle renonce à se vouloir toujours plus attractive. Voilà qui tombe bien, car une part croissante des Franciliens, dès avant l’épidémie, rêve de vivre ailleurs. Surtout, les habitants des autres régions envisagent, encore moins qu’avant, de s’installer dans la conurbation parisienne. Celui qui, il y a 15 ans, aurait quitté Montauban ou Avallon pour faire carrière avec un meilleur salaire à Levallois-Perret ou à Alfortville, préfèrera rester dans sa région, ou migrer à Pau ou à Dijon.
Pour compléter: Les Franciliens veulent ralentir, davantage de proximité et de télétravail (Forum des vies mobiles, avril 2021).
Ce constat va totalement à l’encontre du programme de Valérie Pécresse, comme en témoigne cet extrait d’un tract distribué dans les boîtes aux lettres: « attirer toujours plus d’emplois et de talents. Continuer à réduire les fractures territoriales ». Le 4 mai, lors du débat organisé par le Forum des vies mobiles, Laurent Saint-Martin ne disait pas autre chose: « il faut que les Franciliens aient envie de vivre dans leur région et d’y rester ». Une formule proche de celle d’Audrey Pulvar: « 12 millions de personnes vivent dans la région et veulent y rester ».
Demande de proximité. Trois candidats, représentant des forces plutôt marginales jusqu’à récemment, pensent avoir trouvé une parade à cet attractivisme. Clémentine Autain veut « rapprocher les lieux de vie des lieux de travail, des services publics ou encore des espaces culturels et sportifs ». Jordan Bardella espère « désaturer Paris et sa proche banlieue en permettant le travail et l’activité économique en grande couronne ». Et Julien Bayou plaide pour « la déconcentration des services et des infrastructures, permettant à chacun un accès à un centre de santé, à des emplois… non loin de chez soi ».
Lyon et Bordeaux ne veulent plus de la croissance à tout prix. Mais aucun candidat n’admet à ce stade que l’Ile-de-France doit accepter un certain dégonflement. Serait-ce une utopie décroissanciste, comme le soutiennent les bâtisseurs du Grand Paris? Non. C’est le discours, à Lyon, de Bruno Bernard, président (EELV) de la métropole. Et c’est aussi ce que disait Alain Juppé, ancien maire de Bordeaux, à un colloque, en septembre 2019: « Lorsque j’étais maire, j’avais lancé l’idée de ville millionnaire, une agglomération d’un million d’habitants. Mais les gens ont eu peur, et m’ont dit que Bordeaux ne devait pas trop grossir ». Les métropoles n’attirent plus, et leurs élus seraient inspirés d’en tirer les conséquences.
Pour compléter: Exode des « Parisiens » vers les villes moyennes, le télétravail ne suffit pas (février 2021)
Olivier Razemon (l’actu sur Twitter, des nouvelles du blog sur Facebook et de surprenants pictogrammes sur Instagram).
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C’est un album pour les enfants (et pour les adultes aussi), qui montre un immeuble en coupe, ainsi que ses habitants, et quelques rues de Paris, l’ensemble étant dessiné à différentes époques. Ces « 100 ans d’un immeuble parisien », un ouvrage paru en 2018 aux éditions Parigramme, racontent l’histoire récente de la capitale, son urbanisme, sa population, les grandes choses de l’histoire mêlées aux petites aventures de la vie. Les dates, choisies avec précision (1910, 1919, 1934, 1943, 1947, 1961, 1978, 1991 et « aujourd’hui »), correspondent à des périodes immédiatement reconnaissables, en raison de la crue de la Seine, des tickets de rationnement ou de la forme des bus.
A chaque époque ses restrictions. Delphine Godard, autrice, et Lise Herzog, illustratrice, ont soigné les moindres détails des vingt planches, des combles aux pavés en passant par les enseignes des commerces. En janvier 1910, les passants cheminent sur des planches en bois. En 1919, on vend encore des volailles vivantes en pleine rue. En 1943, les vitres des cafés sont recouvertes de croisillons de papier qui les protègent en cas de bombardement. En 1961 apparaissent les premiers scooters, tandis que les hommes ne portent plus de chapeau. Les abribus arrivent en 1978, et le traiteur asiatique en 1991. A chaque époque ses plaisirs, ses craintes, ses restrictions.
2018, entre Autolib’ et Smovengo. La date exacte de la planche correspondant à « aujourd’hui » est presque identifiable, puisqu’on y remarque une sorte d’Autolib’, dont le service a cessé en juillet 2018, et des Vélib’ verts et bleus version Smovengo, qui ont commencé, tant bien que mal, à circuler en janvier 2018. Les arbres présentent de belles feuilles vertes, les passants portent des tenues estivales: c’est la fin du printemps 2018.
Et en 2020? A quoi ressembleraient cet immeuble, et ces rues, en décembre 2020? En un an, avec l’émergence du covid, beaucoup de choses ont changé, aussi bien dans les habitudes des citadins que dans l’organisation de la ville. On peut essayer d’imaginer comment Delphine Godard et Lise Herzog choisiraient de représenter la ville aujourd’hui. Un simple coup d’œil aux planches de 2018 nous montrent, par comparaison avec la situation actuelle, que 2020 est l’année où la ville a changé.
Masques. Tout d’abord, la plupart des personnages portent désormais des masques sur le visage… ou sous le nez, voire sous le menton. Seules les personnes circulant en voiture, en scooter ou à vélo en sont dispensées, mais certaines le conservent, par habitude ou par commodité. Le masque, qu’il soit bleu hôpital ou artisanal et coloré, est aussi arboré à l’intérieur, dans les boutiques ou dans certains appartements transformés en espaces de coworking. Les autrices en tiendraient compte, évidemment.
Télétravail et affiches de prévention. A l’intérieur, le télétravail modifie l’aménagement des logements : ordinateur, bureau, dossiers, armoires, voire un fond seyant servant aux réunions en ligne. Dans les magasins, des flèches dessinées sur le sol indiquent aux clients un sens de circulation, plus ou moins respecté. Parfois, des poteaux de guidage posés sur le trottoir canalisent la file d’attente. Sur les vitrines, des affiches précisent les consignes, des pictogrammes peignent les « gestes barrière », des inscriptions « Covid-19 » en noir et bleu, ou rouge, surgissent un peu partout.
Tentes blanches, vente à emporter… La physionomie de l’espace public a, elle aussi, énormément changé en un an. Devant les pharmacies (mais il n’y en a pas sur les planches de l’album), des tentes blanches sont dressées, masquant les écouvillons enfoncés dans des narines. Sur la devanture des cafés et restaurants fermés figurent des inscriptions « click and collect » et des ardoises proposant des menus « spécial fêtes » à emporter.
Contre-terrasses. En face des restaurants, et de certains magasins, des places de stationnement sont occupées par des contre-terrasses construites en bois, parfois décorées. Sur certaines d’entre elles, quelques passants dégustent un café dans un gobelet en plastique. A l’arrêt de bus, il suffit d’appuyer sur un bouton pour actionner un distributeur de gel.
Rues piétonnisées. Devant l’école (mais l’album n’en montre pas non plus), la rue a été piétonnisée, définitivement ou seulement à l’heure des enfants. Au sol, des pictogrammes incitent à prendre les distances. Des voies de circulation générale ont été transformées en pistes cyclables temporaires et marquées de peinture jaune, voire protégées par des plots en plastique ou des blocs de béton. Quelques panneaux posés par l’association Paris en selle précisent que cette piste suit le trajet de telle ligne de métro.
Logistique urbaine. Plus encore qu’en 2018, des livreurs à vélo, mais le plus souvent à scooter, apportent à des Parisiens, apparemment incapables de se déplacer ou de cuisiner, des plats préparés proposés par la restauration plus ou moins rapide. La ville peine à s’adapter aux nouveaux impératifs de la logistique, comme le rappelle cet article d’Emeline Cazi et Véronique Chocron dans Le Monde.
Véligo et bus bleu turquoise. Enfin, dans la ville, entre 2018 et 2020, d’autres choses ont changé, sans lien direct avec l’épidémie. Les Veligo, vélos loués pour une longue durée par Ile-de-France mobilités ont fait leur apparition, et rencontrent un grand succès. On les reconnaît à leur couleur bleu turquoise, la même que celle qu’arborent désormais les bus. Bientôt apparaîtront les affiches des élections régionales.
Olivier Razemon (l’actu sur Twitter, des nouvelles du blog sur Facebook et de surprenants pictogrammes sur Instagram).
La crise sanitaire en 2020, pas à pas, sur ce blog
Mars
A Lyon, dernières heures d’insouciance (15 mars)
Les voisins, silhouettes secondaires, devenus personnages principaux de nos vies (20 mars)
« Les Parisiens », ou supposés tels, une obsession française
Avril
Les premières « coronapistes » à Montpellier (13 avril)
Mai
Mes voisins se mettent au vélo (8 mai)
Mobilité: 13 choses qui ont changé en deux mois (15 mai)
Juin
Enfin des panneaux pour baliser les pistes cyclables temporaires! (11 juin)
Juillet
Sept découvertes étonnantes sur ce qu’on appelle « la campagne » (19 juillet)
Août
La « métropolisation », c’est quoi exactement? (18 août)
Septembre
Le vélo devient un transport de masse (21 septembre)
Octobre
Petits commerces fermés, hypermarchés ouverts, comment en est-on arrivé là? (31 octobre)
Novembre
Chaque matin un marché différent, ou comment voyager pendant le confinement (11 novembre)
Décembre
« Les vélos ralentissent les bus ». Vraiment? (14 décembre)
 
 
 
 
 
 
C’est une petite musique lancinante, serinée depuis quelques mois par les opérateurs de transports publics. Le développement massif du vélo, constaté depuis le début de l’année 2020 dans les villes françaises, se ferait au détriment du bus, du métro ou du tramway. Une concurrence perçue comme déloyale.
A l’Union des transports publics (UTP), les dirigeants de Transdev, la RATP ou Keolis s’inquiètent de la désaffection des transports en commun depuis le début de la crise sanitaire. Pour ces entreprises, les conséquences se calculent en euros, près de 5 milliards selon leurs calculs. Dès lors, certains responsables n’hésitent pas à déplorer qu’une partie de leur clientèle « naturelle » utilise désormais le vélo pour se déplacer.
Table ronde dédiée. Cette crainte se lit dans l’intitulé de la conférence prévue le mardi 15 décembre dans le cadre du Salon des transports publics (rebaptisé European Mobility Expo): « Articulation entre transport urbain et vélo ». Les organisateurs, l’UTP (opérateurs) et le GART (élus) se demandent si l’augmentation de la part du vélo dans les trajets domicile-travail, objectif affiché par le gouvernement, « permettra bien la réduction de l’autosolisme (le fait de se déplacer seul en voiture)? »
Méfiance. La présentation de cette « table ronde » (en ligne) trahit la méfiance du secteur: « Au détriment de quels modes le vélo va-t-il trouver son espace ? » Dans ce débat, les transports publics seront défendus par Marc Delayer, directeur général de Transports publics du Choletais, et le vélo aura pour avocat Pierre Serne, président du Club des villes et territoires cyclables. Stéphane Volant, président de Smovengo (Vélib’) et ancien de la SNCF, jouera les arbitres.
Pour appuyer sa démonstration, l’UTP a publié une « position » toute en nuances, qui ne livre aucun exemple concret, mais qui insiste notamment sur un point: « le vélo ne doit pas entraver la sécurité, la fluidité et la régularité/ponctualité attendues des usagers des transports en commun ».
Coronapistes. De fait, dans certaines villes, les pistes cyclables temporaires (« coronapistes« ) tracées à la sortie du confinement du printemps empruntent des voies de bus.  Le journal Paris-Normandie faisait état, le 28 novembre, d’une telle situation à Bihorel (Seine-Maritime). C’est le cas également à Clichy, au nord-ouest de Paris. Thierry Mallet, président de l’UTP et du groupe Transdev, s’inquiète dès lors pour ce qu’on appelle la « vitesse commerciale »: « si les cyclistes ralentissent le bus, celui-ci ne sera plus compétitif, et cela incitera les gens à reprendre leur voiture ».
Encombrements motorisés. Cette focalisation sur le vélo qui empêcherait les bus de rouler vite est compréhensible de la part des transporteurs. Mais curieusement, cette position fait l’impasse sur des dizaines, voire des centaines d’endroits, dans toutes les villes de France, où ce ne sont pas les cyclistes qui encombrent les voies de bus, mais des voitures qui circulent ou stationnent.
Par ailleurs, dans de nombreuses agglomérations, le maire refuse de créer un couloir de bus, qui le conduirait à supprimer une file de circulation ou de stationnement motorisé. Ainsi, à Pau, le Febus, bus à hydrogène qui fait la fierté du maire François Bayrou, partage la chaussée, en plein centre-ville, avec la circulation générale. Au détriment de sa « vitesse commerciale ».
Le vélo, léger et peu volumineux. Le raisonnement de l’UTP néglige aussi l’usage des modes de transport. Le vélo est léger, peu volumineux, et ce n’est pas le moindre de ses avantages dans l’espace contraint qu’est une ville. Les cyclistes peuvent se placer facilement sur le côté quand un bus arrive, et c’est d’ailleurs ainsi qu’ils se comportent dans les voies du tramway à Anvers ou à Graz, des villes connues pour leur longue tradition cyclable et l’efficacité de leur réseau de transports.
Les positions des transporteurs laissent penser que le vélo et les transports publics seraient concurrents. Or, comme le rappelle l’économiste Frédéric Héran dans ses ouvrages, l’essor du vélo ne provient pas directement de la baisse de l’usage de la voiture. Ce sont en effets des usagers des transports en commun qui sont le plus susceptibles d’enfourcher une bicyclette, d’abord de temps en temps, puis régulièrement. Les automobilistes changent de comportement à l’occasion d’un événement de la vie (déménagement, cohabitation, séparation, retraite) ou parce que circuler en voiture devient trop compliqué ou trop cher. Ils optent alors pour les transports en commun.
Message brouillé. Comme le dit l’UTP dans sa position, « la bonne articulation du vélo et des transports publics constitue la première étape fondamentale pour enclencher une modification des comportements de mobilité ». En clair, le vélo et le bus, alliés, ont une cible commune: ces trajets de quelques kilomètres parcourus en voiture individuelle. Mais les prises de position de l’organisation, focalisées sur le vélo gêneur, brouillent le message.
Olivier Razemon (l’actu sur Twitter, des nouvelles du blog sur Facebook et de surprenants pictogrammes sur Instagram).
 
 
 
 
 
« Liberté, sérénité, mobilité » en bleu-blanc-rouge. Bleu pour pour l’arrière d’un bus, blanc pour le milieu d’un tramway et rouge pour l’avant d’un train. Voici la campagne de promotion lancée par les acteurs des transports publics, élus et opérateurs, afin de redonner des couleurs au secteur, dont les pertes se chiffrent en milliards. La campagne sera déclinée lors de la « semaine du transport public » du 16 au 22 septembre.
« Il faut redonner confiance par tous les moyens possibles », estime Anne Gérard, vice-présidente (PS) de la région Nouvelle Aquitaine et présidente de la structure qui chapeaute le Gart (élus) et l’UTP (opérateurs). « Fin août, seuls 1% des clusters identifiés avaient pour origine les transports publics », renchérit Thierry Mallet, président de Transdev et de l’UTP. Pour celui, c’est la preuve que se déplacer en bus ou en métro est « sûr », même si les contaminations dans un véhicule bondé sont difficiles à tracer.
Sauver la patrie. Mais, autant le dire franchement, en matière de campagne de promotion, on a rarement vu plus plan-plan. Ce slogan insipide (« liberté, sérénité… ») risque d’être aussi vite oublié qu’une crêpe au jambon industrielle avalée sur le pouce ou qu’une interview de ministre relue dix fois par les services de Matignon. Quant au lien entre le drapeau tricolore et les transports, voilà qui suscite une bouffée de perplexité. Le Gart et l’UTP font sans doute allusion au fait que le secteur abrite des « champions nationaux », rois de l’exportation. Mais qui prend le bus pour sauver la patrie?
Les constructeurs automobiles et l’industrie aérienne, eux, n’hésitent pas à placarder des campagnes de promotion agressives au sein même des gares et des stations de métro, ainsi que sur les arrêts de bus. Les transporteurs et leurs clients y sont régulièrement moqués, ridiculisés, vilipendés, comme le montrent les quelques exemples suivants, plus ou mins récents: « Soyez sûr d’arriver à l’heure », « vous êtes ridicules en attendant le bus », « Aujourd’hui, il est plus facile de rater le bus qu’une Fiat Uno », etc.
Gare de Lille-Flandres. Panneaux publicitaires géants pour un constructeur automobile qui raille le voyage en train. Ou comment la SNCF a tué ses trains. pic.twitter.com/QwDQleeCOp
— Olivier Razemon (@OlivierRazemon) February 25, 2018

Alerter l’Ademe. Anne Gérard reconnaît que le slogan du Gart et de l’UTP pourrait être musclé: « C’est très consensuel. Nous sommes une puissance publique ». Le président de l’Ademe, Arnaud Leroy, lance pour sa part un appel à la cantonade: « si vous repérez des campagnes publicitaires dénigrant les transports publics ou le vélo, n’hésitez pas à solliciter l’Ademe ». En juin, rappelle-t-il, une publicité pour le vélo avait été interdite car elle « jetait un discrédit » sur l’industrie automobile.
En attendant, voici quelques idées de slogans choc, sans aucun doute à améliorer, pour montrer l’intérêt de prendre le train, le bus ou le métro, plutôt que la voiture ou l’avion. Apportez vos améliorations et suggestions en commentaire!

Pas d’essence, plus de sens. Lisez en voyageant.
Buvez un verre. Ou deux. Ou même trois. De toute façon, vous rentrez en tram.
Grâce à la distanciation physique, donnez plus de place à vos jambes.
Dormir ou voyager, il ne faut pas choisir.
En prenant le train, vous n’enrichissez pas les monarchies du golfe.
Prendre le train n’a jamais tué personne. Et ça fait moins de bruit qu’une nuée de scooters.
A la gare, gardez ceinture, chaussures, bretelles, boissons et nourriture. A l’aéroport, déshabillez-vous et rachetez une bouteille d’eau 3,50€ après les contrôles de sécurité.
« On peut plus se garer »? Pas grave. Le passager n’a pas à chercher une place pour son bus.
Dans le train, vous pouvez lire, dormir, manger. Pas besoin de passer votre temps à consulter le GPS et à garder les yeux ouverts.
En fait, tout cela, Ouigo l’a fait. Dans une série d’affiches placardées récemment à l’arrière des camions, voici comment la branche low-cost de la SNCF explique que faire Paris-Lyon en 2 heures, c’est quand même mieux que 5 heures sur l’autoroute:
En vidéo, cela donne ceci:

Et pour finir, la pub pour la marque de vélos VanMoof, interdite à la télévision française (merci Streisand):

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Et voici une vidéo, danoise, qui fait du passager du bus un héros.

Un article britannique relaie les actions de militants qui modifient le sens des affiches faisant la promotion des voitures. Un exemple ci-dessous.
https://streetartnews.net/wp-content/uploads/2020/09/02_SUV-BMW-Embrace-the-Traffic-Jam_1200-copy.jpg
 
 
 
« Grenoble, nouvelle capitale du vélo », « Agen doit faire mieux », « Ce que Toulouse peut améliorer », « Creil, un cauchemar pour les vélos », etc. Les titres de la presse sont éloquents. La remise des trophées des « villes cyclables » par la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), le 6 février, à Bordeaux, fut l’occasion de comparer les mérites des municipalités françaises qui s’engagent à faciliter les déplacements à vélo. Le classement délivré par les 185000 contributions à cette enquête géante a déjà un impact sur la campagne des élections municipales en cours.
Le grand prix du public. Avec son questionnaire détaillé, la précision des réponses, la cartographie qu’il permet, le « Baromètre des villes cyclables » se présente en outre comme un outil précieux pour les services municipaux. Dans la plupart des villes, en effet, si les ingénieurs et les techniciens savent incontestablement construire une voirie destinée à fluidifier la circulation motorisée, ils n’ont en revanche pas été formés à dessiner des itinéraires destinés aux cyclistes. L’examen détaillé des résultats du baromètre devrait les y aider.
Trophées et palmarès en tous genres. Les associations pro-vélo ne sont pas les seules à tenter de peser sur les élections. Les mouvements représentant les handicapés, les professionnels du tourisme, les groupements défendant la végétalisation ou inquiets pour la qualité de l’air décernent aussi des trophées aux municipalités, qui ne sont en revanche pas basés sur l’avis des usagers, mais sur la compilation d’une série de critères.
Et les usagers des transports publics? Eux aussi, après tout, pourraient désigner les villes les plus faciles à parcourir en bus, tramway et métro. Les réseaux urbains sont en effet confrontés au même problème que les aménagements cyclables: ils ne sont pas toujours bien conçus, et leur structure sous-estime l’importance de l’usage, de la pratique quotidienne.
En outre, ceux qui les conçoivent les empruntent rarement. « Je suis le seul membre du conseil municipal à monter de temps en temps dans un bus », observait il y a quelques années un élu d’une préfecture du sud-ouest. Cela lui permettait de signaler aux adjoints et aux services, entre autres dérangements, que l’inscription figurant à l’avant d’un bus ne correspondait pas à la destination réelle. Et ce, depuis des années.
Information voyageurs. En région parisienne, les associations d’usagers sont déjà plus efficaces que la RATP et la SNCF pour informer les voyageurs des difficultés qu’ils sont susceptibles de rencontrer. Cette expertise s’explique notamment par leur connaissance intime des lignes, des gares, de la fréquentation et des horaires. Grâce aux témoignages de leurs adhérents, et parfois à l’aide des agents croisés sur les quais, les associations peuvent conseiller aux usagers d’emprunter tel train plutôt que tel autre, privilégier tel horaire, utiliser telle appli et surtout pas telle autre, etc. Ces connaissances ont été particulièrement utiles lors de la longue grève des transports, cet hiver (à lire ici).
Un palmarès des transports publics, décerné par les usagers (et non par un jury de professionnels plus ou moins complaisants, ça existe déjà), pourrait s’appuyer, comme le baromètre de la FUB, sur un questionnaire auxquels répondraient le plus de personnes possible.
Quelques idées pour un palmarès décerné par les usagers. Les questions seraient classées par préoccupation: appréciation du réseau (quartiers desservis, lignes directes ou non, saturation), qualité du service (fréquence, ponctualité, facilité d’achat d’un ticket, confort des véhicules, risques de dysfonctionnements, prise en compte des handicapés), communication de l’autorité en charge des transports (transparence des décisions, accessibilité des élus, informations délivrées aux voyageurs, propreté), tarifs (lisibilité des abonnements et réductions, niveau de prix), suggestions de lignes supplémentaires, etc. Pour les réseaux très étoffés, en Ile-de-France, à Lyon, Toulouse ou Lille, l’enquête pourrait être déclinée par ligne de train, métro ou tramway. Ou par gare.
Ce palmarès servirait bien sûr à comparer les agglomérations entre elles. A décerner des prix aux élus, qui adorent ça. Le classement contiendrait aussi des éléments permettant de nettes améliorations. Lorsqu’un bus « à haut niveau de service » dispose d’une voie réservée lui permettant d’échapper aux bouchons, il arrive que les autres bus du réseau n’y aient pas accès. C’est le cas, par exemple, sur le réseau Artois-Gohelle, dans le Pas-de-Calais. Certains usagers, interrogés individuellement, regrettent cette situation. Cette préoccupation est-elle partagée?
Lire aussi: Territoires peu denses, ces petits détails qui pourraient faciliter les déplacements (septembre 2019)
Gratuité, une demande ou pas. Le palmarès des meilleurs transports publics donnerait enfin l’occasion de trancher l’épineuse question de la gratuité. Certains candidats aux élections la proposent. Les associations d’usagers n’en veulent pas. Que pensent les usagers eux-mêmes?
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« Il faut un marqueur ». L’équipe qui se présente aux élections municipales entame sa énième réunion, et chacun cherche son marqueur. « Un marqueur », c’est une proposition phare, une mesure que tous les électeurs retiendront, dont on parlera dans les familles, sur les marchés et dans les couloirs des galeries commerciales. Une nouvelle médiathèque ? Un téléphérique ? Un marché couvert ? Une appli révolutionnaire ? La boîte à idées fonctionne à plein régime.
Une proposition émerge alors, qui semble séduire tout le monde : la gratuité des transports en commun. Après tout, même les électeurs qui n’ont jamais songé à monter dans un bus vont comprendre. Avec un peu de chance, ils trouveront ça généreux.
Mesure sociale: oui. A l’approche des municipales de mars, la gratuité totale des transports pour les usagers est à la mode. Est-ce une mesure sociale ? Incontestablement, même si dans la plupart des villes moyennes, les transports remplissent déjà leur rôle social: les pauvres, les jeunes et les vieux constituent l’essentiel de clientèle des bus.
Partout, la gratuité fait logiquement progresser la fréquentation. Cela n’a pas d’influence sur le confort des usagers dans les villes, petites et moyennes, où les bus ne sont pas utilisés à plein (lire ici). Il en va différemment en Ile-de-France, où les transports sont bondés aux heures de pointe, et où toute mesure de gratuité, même partielle, renforcerait la saturation.
Mesure efficace: non. La gratuité est-elle efficace? Amène-t-elle les usagers à délaisser leur voiture? Rien n’est moins sûr. Dans les villes qui disposent d’un réseau de transports performant, comme Lyon, Nantes ou Strasbourg, le ticket et les abonnements sont parmi les plus chers de France. Or, c’est dans ces villes que la fréquentation des transports est au plus haut: chaque habitant du Grand Lyon emprunte en moyenne les transports une fois par jour, un record hors Ile-de-France. A l’inverse, dans les villes qui ont opté pour la gratuité, la voiture continue d’occuper une place prépondérante dans l’espace public.
Mobilité, santé, éducation, même combat? Les partisans de la gratuité présentent parfois cette mesure comme une manière de se réapproprier un bien public, alors que les inégalités s’accroissent et que la défiance à l’égard des grandes entreprises se renforce. La mobilité est alors comparée à l’éducation et à la santé, deux services à peu près gratuits en France. Pourtant, cette comparaison est contestable. S’il apparaît comme souhaitable que chacun bénéficie de davantage d’éducation et de davantage de santé, il n’en va pas de même pour la mobilité. Pour le dire simplement, on peut se déplacer très peu, voire pas du tout, et très bien se porter. A l’inverse, se déplacer beaucoup, tout le temps, n’est pas forcément synonyme de bien-être.
Le cas particulier de Dunkerque. Peut-on à la fois instaurer la gratuité des transports et établir un réseau plus performant? Dunkerque l’a fait. En septembre 2018, la Communauté urbaine a, dans un même élan, supprimé la billettique, ce qui a coûté 4,5 millions d’euros, et considérablement refondu et renforcé son réseau, en y injectant 10 millions d’euros supplémentaires. Mais cette agglomération, malgré une population plus pauvre que la moyenne, est fiscalement riche grâce à son port de commerce, sa centrale nucléaire et ses usines sidérurgiques (enquête à lire ici). Ce n’est pas le cas partout, loin de là. Et à terme, la question de la pérennité des ressources se pose de toute façon.
On pourrait débattre à l’infini de la pertinence de la gratuité (voir Le Tour de France des municipales, Mobilettre). De nombreux candidats aux municipales la promettent, sans forcément assortir cet engagement d’un meilleur fonctionnement du réseau. En revanche, dans certaines villes, des candidats, voire des citadins, souhaitent à la fois des réseaux gratuits, plus fréquents, plus rapides et desservant davantage de quartiers. Voilà qui s’appelle réclamer le beurre et l’argent du beurre.
A Evreux, une « liste citoyenne » constituée pour les municipales propose la gratuité des transports en commun, mais aussi « un cadencement plus élevé » des bus. Mais sans les recettes des usagers, comment financer ces bus supplémentaires et les chauffeurs qui les conduisent? La suppression de la billettique ne suffira pas. Un responsable de la liste explique: il espère économiser « environ 100000 € en amputant les indemnités des élus de 30% ». Toutefois, pour l’heure, « c’est la campagne électorale qu’il va falloir financer. La liste lance d’ailleurs un appel aux dons », observe un média local.
A Bourges, des candidats communistes sur la liste de Yann Galut (PS) promettent, par la gratuité des bus, « une économie de 800€ par an à un couple avec deux enfants ». Cela reste toutefois nettement inférieur à l’ensemble des dépenses consacrées chaque année à une voiture. La gratuité pour les usagers n’empêche pas les candidats de promettre une ligne de bus à haut niveau de service, dotée d’une voie réservée. Coûtant entre 2 et 10 millions environ le kilomètre, cette infrastructure nouvelle serait financée « par une augmentation du versement transport (VT) », l’impôt assis sur la masse salariale qui finance les infrastructures de transport. Le taux du VT passerait de 1,25% à 2%. Le PC « réfute l’argument prétendant que cela ferait fuir les entreprises », précise le Berry républicain.
A Alençon, le député et ancien maire PS Joachim Pueyo espère retrouver le fauteuil de maire qu’il avait abandonné en 2017 à son successeur, passé chez LRM. Il s’interroge, comme beaucoup, sur la pertinence de la gratuité. Le candidat s’est renseigné, mais a vite rencontré un obstacle: « il faudra trouver un moyen de la financer sans augmenter les taxes, ni sur les particuliers, ni sur les entreprises », dit-il. Ce n’est pas gagné, car le financement d’un réseau de transports repose sur trois piliers, les usagers, les employeurs et la collectivité. Supprimer un pilier, c’est forcément renforcer les deux autres.
Enfin, voici un sondage significatif mené sur le site du journal l’Indépendant auprès des habitants de Perpignan. 71% des lecteurs apprécieraient la gratuité. Mais ils affirment, dans un même élan, souhaiter des transports plus efficaces. 35% des lecteurs apprécieraient ainsi des fréquences horaires plus élevées, 24% des trajets plus directs, et 23% des dessertes plus nombreuses.
« Prendre l’argent là où il est », mais encore? On peut interpréter ces résultats comme une demande forte de transports publics performants. Il peut être tentant de se dire qu’après tout, il faut pour financer tout cela « prendre l’argent là où il est », selon la terminologie en vigueur. En attendant, pour convaincre les habitants de monter dans le bus ou dans le tramway, on n’a jamais rien trouvé de mieux qu’un réseau efficace. Et pour créer ce réseau, il faut de la patience, de l’abnégation, du courage politique, des discussions incessantes et délicates avec les opérateurs, les syndicats de chauffeurs,  les architectes des bâtiments de France, les usagers, les riverains, les commerçants, etc. Un travail de long terme beaucoup moins facile à mettre en œuvre que de décréter la gratuité.
Olivier Razemon (l’actu sur Twitter, des nouvelles du blog sur Facebook et de surprenants pictogrammes sur Instagram).
Pour compléter:
Non, les frais de port ne sont jamais « gratuits » (décembre 2015)
Les villes moyennes déliassent timidement le tout-voiture (novembre 2019)
Se déplacer n’est jamais gratuit (mars 2018)
Autorpartage, covoiturage, vélo, trois transports efficaces qui ne coûtent presque rien (janvier 2014)
 
 
 
 
 
« Priorité aux transports du quotidien ». Tel était l’objectif de la loi d’orientation des mobilités (LOM), annoncée dès juillet 2017 et finalement promulguée au lendemain de Noël, le 26 décembre 2019. Cette parution au Journal officiel est l’un des événements, parmi de nombreux autres, de l’année 2019 dans le secteur des transports. Voici une liste illustrée, forcément incomplète, enrichie de quelques observations personnelles, des événements qui ont ponctué l’année.
Janvier, trottinettes. On ne parle que de ça. Tout au long de l’année 2019, ces objets auront symbolisé les « nouvelles mobilités ». Personne n’aime les trottinettes électriques en libre-service, apparues dans les rues et sur les trottoirs des grandes villes, principalement à Paris. On ne compte plus les conférences de presse destinées à annoncer une maîtrise de ces objets, les amendements déposés par les parlementaires et les reportages télévisés pour dénoncer ces intrus. A la fin de cette année, toutefois, les trottinettes sont encore là, noyées dans la masse du trafic, mais elles roulent moins vite, et leurs utilisateurs empruntent les pistes cyclables lorsqu’il y en a.
Février, arceaux. Les gares du super-métro du Grand Paris seront équipées en arceaux de stationnement pour les vélos, mais pas en nombre suffisant. En novembre, il apparaît que seule une centaine de places sont prévues pour chaque gare de la ligne 15, en banlieue sud. Et pourtant, la Société du Grand Paris ne cesse de rappeler que « 90% des habitants vivront à moins de 2 km d’une gare » et qu’ils sont priés de ne pas arriver à la gare en voiture. A vélo non plus, apparemment.
Mars, flygskam. La honte de prendre l’avion se répand en Europe et en Amérique du Nord. Le secteur ferroviaire, en Suisse ou en Suède, constate une hausse de la demande. Sans renoncer totalement aux voyages en avion, on peut, à l’instar des flexitariens qui réduisent leur consommation de viande, devenir flexitaérien: le train à l’aller, l’avion au retour. Et sinon, on ne dit plus « compagnies aériennes », mais « industrie aérienne ».
Mars, collectif. Le Collectif vélo Ile-de-France est créé à Massy (Essonne). Pour la première fois, les associations d’Ile-de-France, une région dense où de nombreux trajets sont parcourables à vélo, réclament, ensemble, des aménagements cyclables. Ceci débouchera, en août, sur le concept de RER V, comme vélo.
Avril, escapades. Parution de Slow train, un guide présentant une trentaine d’échappées ferroviaires en France. Par Juliette Labaronne, éditions Arthaud. Pendant, ce temps, des lignes secondaires ne sont plus entretenues, un exemple ici avec la ligne Morlaix-Roscoff.
Avril, Brompton. A l’usine Brompton, dans la banlieue ouest de Londres, les ouvriers mettent une derrière main aux modèles à assistance électrique mis en vente en Europe continentale. L’entreprise préfère continuer à produire à Londres plutôt que dans dans le nord-est de l’Angleterre, où les salaires sont pourtant plus bas. La direction de Brompton souhaite que ses salariés continuent d’utiliser les produits maison tous les jours, et ainsi contribuer à les améliorer.
Avril, téléphérique. Le téléphérique de Brest, qui traverse le fleuve côtier Penfeld, rencontre un incontestable succès auprès des habitants et des touristes. Mais le téléphérique urbain a-t-il vraiment un avenir comme mode de déplacement du quotidien? Les promesses tardent en tous cas à se concrétiser. Par ailleurs, le téléphérique de Brest dessert, sur la rive droite, une médiathèque, mais pas d’habitations. Et d’ailleurs, il ne fonctionne pas le lundi matin, ce qui le rend inopérant comme transport « domicile-travail ».
Mai, CDG Express. Feu vert du gouvernement pour le CDG Express, qui sera mis en service en 2025. La construction et le fonctionnement de ce métro rapide entre la gare de l’Est à Paris et l’aéroport Charles de Gaulle, qui ne transportera que 17000 personnes par jour, risquent de fragiliser encore le RER B, où voyagent chaque jour ordinaire 900000 personnes.
Mai, lobby. Depuis le début de l’examen de la LOM, le Medef déploie un lobbying très actif pour éviter que le « forfait mobilité durable », qui doit encourager les salariés à utiliser le covoiturage et le vélo, devienne une obligation pour les employeurs. Et pourtant, ces derniers gagnent à financer les transports publics et le vélo.
Juin, gratuité. La Communauté urbaine de Dunkerque exulte. Depuis que le réseau est gratuit (pour les usagers), la fréquentation des bus a progressé de 70% en semaine et la moitié des nouveaux usagers étaient auparavant automobilistes. Mais ce calcul est biaisé: pour calculer l’impact de la gratuité, il faudrait aussi comptabiliser les gens qui ne sont pas montés dans le bus et sont restés dans leur voiture. Et ils sont bien plus nombreux. Une enquête à lire ici, dans Mobilettre.
Juillet, flop. Finalement, « ça ne sert pas à grand chose ». Le magazine Bus&Car rapporte que la navette autonome qui traversait le parvis de La Défense n’est pas parvenue à son objectif de passage en « full autonome ». Les voyageurs potentiels s’en sont détournés, préférant évoluer à pied. L’établissement public Paris La Défense annonce qu’il est mis fin à l’expérimentation. Coût pour les finances publiques: 300000€.
Juillet, ZTL. En Italie, dans de larges périmètres au centre-ville, la circulation motorisée est réservée aux véhicules utiles, ceux des riverains, des commerçants et des livreurs. Ces « zones à trafic limité », ici celle de Bologne, permettent de limiter la pollution et offrent une vue dégagée sur les monuments séculaires.
Août, hyperconnexion. Etre sans cesse connecté, c’est néfaste non seulement pour le bon déroulé de ses vacances, mais aussi pour la vie de famille, sans compter les conséquences environnementales et démocratiques. On peut comparer les dangers de l’hyperconnexion à l’addiction au tout-voiture, c’est ici.
Août, gare. A Argenton-sur-Creuse (Indre), des habitants se mobilisent pour que les trains Paris-Limoges continuent à marquer l’arrêt en gare.
Septembre, totem. Inauguration par la maire de Paris Anne Hidalgo d’un totem compteur de vélos rue de Rivoli. Le même mois, les premiers fonds du plan vélo de 2018, destinés aux collectivité, sont annoncés. La facilitation des déplacements à vélo sera un des enjeux des municipales, à Paris, mais aussi à Nantes, Montpellier ou Annecy.
Septembre, particules. Les scooters polluent beaucoup plus que les voitures. C’est ce que confirme une étude menée par l’organisme qui a révélé le Dieselgate.
Octobre, périphérique. A l’occasion de la Nuit blanche, une partie du périphérique parisien est transformé en vélodrome. Le récit de cette expérience est à lire ici.
Octobre, Schwebebahn. Visite du célèbre monorail suspendu de Wuppertal. L’objet est amusant, le voyage distrayant. Mais ce train, construit en 1903, est une impasse technologique. Le système ne se prête pas à la constitution d’un réseau et les énormes barres métalliques neutralisent l’accès à la rivière Wupper au-dessus de laquelle plane le monorail. Enfin, contrairement au tramway ou au bus doté de couloirs réservés, le Schwebebahn ne contribue pas à limiter le trafic motorisé, puisqu’il circule au-dessus.
Allez voir, M. Lebon, lobbyiste d’@EuropaCity, ces villes vidées de leurs commerces, de leurs habitants, de leurs équipements, par des zones commerciales à perte de vue.
Partout en France, en grande couronne parisienne aussi.
Et le problème, c’est qu’on continue à en construire. pic.twitter.com/f2am7VLyAl
— Olivier Razemon (@OlivierRazemon) February 20, 2019

Novembre, Europadutout. Le mégacomplexe commercial et touristique Europacity ne verra pas le jour, annonce le gouvernement. Les promoteurs n’ont pas encore dit leur dernier mot et n’excluent pas de revenir à la charge. Ce mastodonte était l’un des symboles de ces zones commerciales qui s’étendent en périphérie des villes et qui multiplient les déplacements motorisés, même lorsqu’ils sont, comme ici en Ile-de-France, également desservis par les transports publics.
Novembre, gilets. Un an après novembre 2018, le mouvement des « gilets jaunes » se poursuit. Il révèle notamment les conséquences de l’étalement urbain, qui se traduit par la construction incessante de zones d’activité, commerciales et d’habitat reliées par des rocades. Un paysage très français qui rend la voiture « indispensable » et les transports publics inopérants. Dans les territoires peu denses, comme disent les spécialistes, les transports existent pourtant, mais ils sont négligés.
Décembre, grèves. Les grèves à la RATP et à la SNCF durent davantage que celles de l’automne 1995. De nombreux enseignements seront à tirer de cette période, sur le strict plan de la mobilité. Alors que des centaines de km de bouchons s’additionnent chaque jour en Ile-de-France, le vélo est plébiscité à Paris et en petite couronne. La grève met aussi en évidence la mauvaise qualité de l’information délivrée aux voyageurs par les opérateurs, alors que les associations de voyageurs se révèlent bien plus fiables.
Bonne fin d’année quand même!
Olivier Razemon (l’actu sur Twitter, des nouvelles du blog sur Facebook et de surprenants pictogrammes sur Instagram).
 
 
 
 
 
Tous les trains sont en retard. Le carburant n’a jamais été aussi cher. L’avenir, c’est l’innovation. Rouler à vélo sur les voies du tramway, c’est dangereux. Il nous faut des transports propres. Et nous sommes envahis par les trottinettes. Lancez le sujet « mobilités » dans une conversation, et il y a de fortes chances pour que les phrases qui précèdent soient prononcées à un moment ou à un autre. La mobilité, les transports, la manière dont nous nous déplaçons, constituent un sujet abrasif et passionnant. Mais à condition de creuser un peu. Car il est tellement simple, en quelques secondes, de livrer « sa petite idée », même partielle, même fausse. Un peu comme celui qui voulait démontrer que la terre se refroidit parce qu’il a fait -3° dans les Yvelines un matin
De cela (les transports, pas la température dans les Yvelines, quoique), on en discute justement ces jours-ci. La loi d’orientation des mobilités (LOM) donne lieu à des passes d’armes dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, et cela déborde forcément sur les plateaux de télévision, les réseaux sociaux et dans les conversations.
Il y a beaucoup d’idées reçues sur la mobilité. Rien d’étonnant à cela : se déplacer n’est pas considéré comme une activité noble. C’est un temps accessoire dans nos vies, coincé entre le travail, la vie personnelle et les loisirs. Dès lors, la plupart des commentateurs abordent le sujet par le seul prisme de leur expérience personnelle. Chacun a sa petite idée. Moi je. Y’a qu’à. Faut qu’on. Voici 15 idées reçues sur la mobilité. La liste n’est pas exhaustive.
1/ Se déplacer est un droit, une liberté.
Variante : On ne va pas emmerder les Français.
Sauf que cette liberté s’arrête où commence celle des autres. Les déplacements font du bruit, occupent de l’espace, consomment de l’énergie, mobilisent du personnel, polluent. Si chacun choisissait avec une liberté absolue son moyen de transport, quel que soit son trajet, la saturation serait immédiate. En effet, il y a de fortes chances pour que ce mode choisi librement serait la voiture individuelle, qui permet, à l’abri d’un habitacle, d’une simple pression du pied, et sans effort physique, de se propulser à grande vitesse. Les routes seraient embouteillées du matin au soir, et toutes les places des villes seraient des parkings. Bon, c’est vrai, dans certaines villes de France, on n’en est pas très loin.
2/ A Paris, ils ont tout. Et nous, on a rien.
Variante : Il n’y a pas de métro à Ambérieu-en-Bugey (Ain).
Il est vrai que la densité du métro parisien est unique au monde. Et la capitale est aussi le terrain de jeu de toutes les formes de « mobilité partagée », comme on dit. Mais il est faux de dire que le reste de la France serait dépourvu de transports publics. Il n’y a pas de métro à Ambérieu-en-Bugey, mais une gare, des trains pour plusieurs destinations, des cars interurbains, un service de bus. Ceci ne convient pas forcément à tout le monde, mais au moins à une partie des déplacements. En France, 33 millions de personnes sont desservies par un réseau urbain, selon les derniers chiffres de l’Union des transports publics (UTP). Par ailleurs, la France ne se résume pas à Paris d’un côté, et le désert français de l’autre.
3/ La priorité absolue, c’est de réduire les émissions de CO2.
Variante : Notre borne électrique va sauver le climat.
Oui, c’est vrai, les transports, à commencer par ceux qui sont équipés d’un moteur thermique, contribuent à un tiers des émissions de gaz à effet de serre en France. La mesure du CO2 présente en outre l’avantage de constituer, pour les observateurs, un indicateur chiffrable, comparable, objectivable. Mais il ne faudrait pas résumer les enjeux de la mobilité à ceux du dérèglement climatique. Les déplacements génèrent aussi d’autres nuisances (quitte à se répéter, la pollution atmosphérique, le bruit, l’espace, l’étalement urbain, etc.) Se déplacer n’est pas une activité gratuite. A force de n’avoir sous les yeux que l’indicateur CO2, on en oublie les autres.
4/ La technologie va tout régler.
Variante : Tout le monde a un smartphone.
Il suffirait d’attendre que les ingénieurs mettent au point des machines étonnantes et des applications géniales pour permettre à la fois les déplacements quotidiens et éliminer leurs conséquences néfastes. Hélas, l’histoire est pleine d’innovations géniales qui n’ont jamais fonctionné (voir ici). La vraie révolution, ce serait d’enseigner la mobilité à l’école, ainsi qu’au moment du passage du permis de conduire.
5/ Tel moyen de transport ne fonctionnera jamais. La preuve ? Ça ne me convient pas.
Variante : Et je fais comment le jour où je dois déménager ?
Voici qui s’appelle généraliser son cas personnel. Ce n’est pas parce que le tramway ou la navette fluviale ne présente aucun intérêt pour votre trajet quotidien que cela ne conviendra à personne. Ce n’est pas parce que vous êtes chargé aujourd’hui que vous ne pourrez pas effectuer ce court trajet à pied un autre jour. Et puis sinon, il y a des gens qui déménagent à vélo.
6/ Ce système est parfait, la preuve, il me convient très bien.
Variante : Vous n’avez qu’à venir à vélo !
Voici qui s’appelle généraliser son cas personnel (bis). Eh oui, ce n’est pas parce que vous vous êtes mis au vélo que les autres vont faire pareil du jour au lendemain. Votre changement d’habitude résulte d’une démarche, plus ou moins consciente, qui vous a réclamé plus ou moins de temps. Les autres vous imiteront, ou pas. « Il ne suffit pas d’avoir raison pour convaincre », a coutume de répéter Olivier Schneider, président de la Fédération des usagers de la bicyclette, qui a passé son temps, ces derniers mois, à tenter de convaincre les parlementaires, les cabinets des ministres ou encore le Medef, des bienfaits du vélo.
7/ Le tout-voiture appartient au passé.
Variante : L’écologie, désormais, ça fait consensus.
Pas du tout. Les pouvoirs publics continuent de construire des infrastructures ou d’aménager le territoire en partant du principe que la voiture individuelle est le moyen de déplacement le plus approprié pour tous les trajets. L’étalement urbain n’appartient pas au passé ; nous sommes en plein dedans. Et 70% des déplacements entre domicile et travail se font en voiture, même là où les transports publics sont efficaces, « même pour les trajets très courts », rappelle Libération. Au moins quatre métropoles en France sont en train de construire, ou en ont le projet, des autoroutes qui traversent l’agglomération : Strasbourg, Marseille, Lyon et Rouen. Le tout-voiture, c’est maintenant.
8/ Il ne faut pas opposer les modes.
Variante : Le car ne tue pas le train, il est complémentaire.
Nous effectuons en moyenne 2,9 trajets par jour, tous modes confondus, et ce chiffre n’est pas extensible à l’infini. Autrement dit, les modes de transport sont concurrents, ils se partagent des « parts de marché », appelées « parts modales ». CDG Express ou RER B, car contre train, train et avion, vélo ou moto… Bien sûr que si, il faut opposer les modes ! Les villes petites moyennes ont beau disposer de réseaux de bus urbain plutôt performants, ils demeurent sous-utilisés. En effet, il y est plus simple de prendre sa voiture : la voirie est pensée pour cela, le stationnement abonde (sauf peut-être dans quelques rues en centre-ville) et personne ne songe à faire autrement.
9/ Utiliser son corps pour se déplacer, c’est déchoir.
Variante : Vous me verriez sur un vélo avec mon costume ?
Cette idée demeure, contre toute attente, très répandue. Celui qui arrive à vélo au bureau est encore parfois incompris ou moqué. Il arrive que des collègues lui demandent s’il a dû revendre sa voiture. Ou s’il a perdu son permis de conduire. Dommage : la sédentarité tue davantage que le tabac ou que l’obésité.
10/ Il faut aller toujours plus vite.
Variante : Je prends l’avion comme d’autres le taxi.
Nous sommes dans la société du tout-vitesse. Le débat sur la vitesse maximale des routes départementales en est une illustration. « La révolution de la vitesse a été si nette en quelques décennies que l’opinion publique a fini par associer l’idée de progrès à l’accroissement des vitesses », explique l’économiste Yves Crozet. Mais en pratique, la vitesse coûte cher, et amplifie les nuisances liées aux transports. Le déplacement le moins coûteux, le plus tranquille, le moins énergivore, le plus écologique, demeure celui qu’on ne fait pas. Cela ne signifie pas que personne ne va plus jamais bouger. Mais qu’on peut limiter ses déplacements à ce qui est nécessaire.
11/ Le free-floating, c’est l’avenir.
Variante : T’as combien d’applis sur ton tel ?
Le free-floating, ou libre-service sans borne, c’est une dénomination compliquée pour désigner les trottinettes, vélos ou scooters que l’on peut emprunter à un endroit de la ville et replacer à un autre, à sa guise. Mais le système comporte de nombreuses externalités et les sociétés qui proposent ces services n’ont pas toutes les reins solides. Souvenez-vous, en octobre 2017, on prédisait un avenir radieux au vélo en free-floating, qui a pratiquement disparu des villes. Méfions-nous des idées un peu trop géniales.
12/ L’usager se détermine seulement en fonction du prix.
Variante : Le train, c’est trop cher.
Pas forcément. Ou plutôt, à qualité comparable seulement. D’autres facteurs interviennent dans le choix d’un mode de transport, comme le montre cette étude récente : le confort, la durée, la fatigue ressentie, le fait de limiter les correspondances, la possibilité de voyager seul… En clair, beaucoup de personnes préfèrent passer du temps dans leur voiture, à leurs frais et seuls, que d’emprunter un bus gratuit. Entre l’avion et le train, même si le train est un peu plus cher, on choisit le train. Parce que c’est plus confortable.
13/ On en perd, du temps, dans les transports.
Variante : Il faut fluidifier le trafic.
Il faudrait réduire le temps de transport à son strict minimum, afin de s’épargner ce moment fastidieux. Or, cela dépend de la manière dont on occupe ce temps. C’est sûr que coincé dans un RER bondé ou dans les embouteillages, le navetteur quotidien ne profite pas vraiment de la vie. Mais si le train n’est pas trop plein, on peut s’asseoir, travailler, se reposer. Sur un vélo, on fait de l’exercice physique. Et même dans les bouchons, on peut écouter la radio ou réviser ses cours de chant.
14/ Nous sommes envahis par les trottinettes.
Variante : Les bobos parisiens veulent nous imposer leur mode de vie.
Oui, les trottinettes prolifèrent à Paris intra-muros. Et encore, de manière plus ou moins intense en fonction de l’heure, du quartier et du temps qu’il fait. Les opérateurs de trottinettes électriques en libre-service ont aussi investi Lyon, Toulouse ou Marseille. Mais en pratique, dans ces villes, le nombre de personnes qui les utilisent reste limité, par rapport à Paris. « A Lyon, je compte un usager de trottinette pour dix cyclistes », admet Fabien Bagnon, du Collectif Valve. A Paris, ce serait plutôt un pour deux. On ne voit des trottinettes, en masse, ni à Amsterdam, ni à Vienne, ni à Londres; ni à Grenoble, ni à Nice, ni à Rennes; ni à Noisy-le-Grand, ni à Vincennes, ni à Aubervilliers. Cela reste un phénomène essentiellement parisien, qui pose certes des problèmes non négligeables, mais démesurément grossi sous la loupe des rédactions.
15/La loi va tout changer.
Variante : L’État peut changer la vie.
La loi fixe un cadre. La LOM, dont la discussion se termine cette semaine, donne aux collectivités locales les moyens d’organiser la mobilité sur leur territoire. Un « forfait mobilité durable », qui remplace l’« indemnité kilométrique vélo », a été voté le 11 juin, mais il reste facultatif, soumis à négociations entre employeur et syndicats. En pratique, l’application de ces mesures dépendra du bon vouloir des uns et des autres, et donc du rapport de force. Loi ou pas, la mobilité est un sujet tellement complexe qu’on n’aura jamais fini d’en discuter.
Olivier Razemon (l’actu sur Twitter, des nouvelles du blog sur Facebook et de surprenants pictogrammes sur Instagram).
 
 
 
Le train, c’est confortable, mais il est parfois en retard. Le covoiturage, c’est convivial, mais on est pris dans les bouchons. Le prix du car est imbattable, mais on y a mal au dos. L’avion vole vite, mais comment fait-on pour aller à l’aéroport ? Ces assertions ne sont pas des élucubrations au doigt mouillé. Elles figurent dans une enquête (elle est ici) menée pour l’Autorité de la qualité de service dans les transports (AQST), créée en février 2012 et qui dépend du ministère des transports.
Arbitrages. L’enquête, réalisée par le bureau d’étude 6T, cherche à comprendre comment les usagers arbitrent entre les moyens de transport pour un déplacement entre deux villes. Le choix se fait selon plusieurs critères concurrents : le prix, la rapidité, le confort, ou encore la desserte, plus ou moins fine. Depuis une dizaine d’années, le paysage du transport interurbain a beaucoup changé : la SNCF propose des TGV low-cost, les lignes de train disparaissent petit à petit, la génération covoiturage arpente les autoroutes, les compagnies d’autocars se concurrencent entre elles et l’avion s’est vulgarisé, sur fond de contestation climatique. Quels opérateurs peuvent espérer tirer leur épingle de ce chamboule-tout ?
Entretiens qualitatifs. L’étude effectuée pour l’AQST n’est pas un sondage, mais rassemble une série d’entretiens qualitatifs auprès de 20 personnes vivant dans sept métropoles et pratiquant plusieurs modes de transport. Des citadins voyageurs, donc, un échantillon qui ne prétend pas représenter la totalité de la population française. 20 personnes, c’est peu, mais les entretiens ont duré environ une heure et, au contraire d’un sondage classique, pouvaient comporter des commentaires et des bémols.
Le premier constat étonnerait presque : même si râler contre la SNCF est un sport national, le train demeure le premier réflexe de ces voyageurs au long cours. Il s’agit même du « mode de prédilection ». Mais si le trajet ne convient pas, pour une raison ou pour une autre, d’autres modes sont explorés.
Comment se forme le deuxième choix. Les auteurs de l’enquête ont étudié la manière dont se déterminent ces choix secondaires, en fonction de l’obstacle (prix, complexité, temps) et du type de public. Ainsi, si le train se révèle trop cher, les jeunes voyageurs préfèrent le car ou le covoiturage. Le public actif et d’âge moyen choisit en revanche la voiture individuelle. Tandis que les retraités décident de voyager un autre jour ou à d’autres moments de la journée. Et si ce n’est pas possible, ils prennent la voiture.
Lorsque la SNCF propose un montage complexe, avec plusieurs changements considérés comme aléatoires, les choix sont différents. Les plus jeunes se tournent vers l’avion ou le covoiturage, les actifs montent dans leur voiture, quitte à prendre des covoitureurs, mais à condition de rester conducteurs. Et les retraités arbitrent entre l’avion ou la voiture. Pour eux, le car est « trop inconfortable ».
L’avion selon le prix et le temps. Le trajet en train est trop long ? Pour tous, « l’avion est l’alternative », constatent les enquêteurs. Mais les plus jeunes ne l’envisagent que s’ils le jugent abordable, et que le trajet porte-à-porte semble suffisamment long pour justifier ce changement. Autrement dit, un Biarritz-Paris peut être jugé aussi intéressant en TGV (4 heures), qu’en avion (1h30 de vol mais beaucoup d’attente à l’aéroport). A prix égal, enfin, « le covoiturage est préféré au car pour les trajets courts, tandis que le car est préféré pour les trajets longs ». La conclusion suivante devrait intéresser la SNCF : « la vaste majorité des répondants se déclare prêt à payer un surcoût plus ou moins important pour prendre le train plutôt qu’un autre mode ».
Et comment se passe le voyage ? Le covoiturage, on devrait plutôt dire Blablacar tant cette société détient le monopole du secteur, est apprécié pour la convivialité. Une minorité des utilisateurs a toutefois déjà subi des conducteurs dangereux ou pénibles, et les commissions empochées par l’opérateur semblent contradictoire avec ce qui demeure perçu comme un « service d’entraide ».
L’inconfort des gares routières. L’autocar, qui emprunte les mêmes axes routiers, ne bénéficie pas de cet engouement. Les voyageurs dénoncent, pêle-mêle, « l’inconfort des gares routières où le personnel et l’information manquent, la non-fiabilité des horaires, l’étroitesse des véhicules ». En revanche, ils apprécient cette « alternative au covoiturage sans obligation de conversation »
Les habitués du train ne manquent pas de relever ces petits détails agaçants qui pourraient les détourner de la SNCF : qualité aléatoire du matériel roulant, gêne provoquée par les passagers bruyants, manque d’information en cas de retard, absence des contrôleurs, wagon-bar mal conçu ou trop cher, etc.
Les manques du train français. L’enquête montre surtout que les voyageurs ne font pas confiance aux correspondances. 40 ans d’effet TGV ont réussi à persuader le public qu’un voyage en train devait s’effectuer porte-à-porte. L’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche ou la Suisse parviennent à maintenir un réseau hiérarchisé aux ramifications multiples. Dans ces pays, au contraire de la France, les trains sont pensés pour assurer les correspondances entre eux, et avec les autres moyens de transport, et le voyageur ne se sent pas mal traité dans un train régional. Par ailleurs, la SNCF ne parvient pas à magnifier le voyage en train. Un long trajet pourrait permettre de lire, travailler, se reposer, mais il est surtout vu comme une contrainte.
Lire aussi: « Le train, c’est pour les autres » (avril 2018)
Avion, un prestige envolé. Les compagnies aériennes ont raison de s’inquiéter: l’avion a perdu le prestige dont il bénéficiait encore dans les années 2000. A part la rapidité du vol, les voyageurs n’apprécient pas grand-chose : « contrôles de sécurité pesants », « trajets inconfortables, bruyants, contraintes de plus en plus strictes pour les bagages », observe l’enquête. Les flexitaériens ont l’avenir pour eux.
L’enquête de l’AQST n’a pas cru bon de se pencher sur d’autres critères, comme la possibilité d’annuler son trajet, celle de choisir ses compagnons de voyage, de louer une voiture à l’arrivée, de transporter de gros bagages ou un vélo. L’impact environnemental des transports apparaît toutefois au détour d’une phrase: la pollution du trafic aérien, alors que le kérosène n’est pas taxé, « décourage les moins de 30 ans ».
Olivier Razemon (l’actu sur Twitter, des nouvelles du blog sur Facebook et de surprenants pictogrammes sur Instagram).
 
 
 
 
 
La gare de Roscoff (Finistère) est un joli bâtiment blanc, derrière lequel se cachent trois voies de chemin de fer et le béton fissuré d’un quai oublié. Mais cette gare ne sert plus à rien. Le 4 juin 2018, un violent orage a déclenché une coulée de boue qui a endommagé les voies reliant Roscoff (3300 habitants) à Morlaix (15000 habitants). La ligne, 25 km de long, a été suspendue. Ce sont désormais des autocars affrétés par la région Bretagne qui assurent le trajet. Et on ne vend plus de billets pour Roscoff au guichet de la gare de Morlaix.
De nombreux passagers empruntaient cette ligne régulièrement : salariés, étudiants, touristes débarqués du TGV et séjournant à Roscoff ou sur l’île de Batz, passagers du ferry pour Plymouth, cyclotouristes désireux de parcourir dans son intégralité la véloroute européenne Roscoff-Hendaye.
40M€ et 4-5 ans. L’État et la SNCF se sont bien gardés de profiter de l’éboulement pour condamner définitivement la ligne. Mais les élus locaux et habitants ont rapidement compris. Des manifestations ont été organisées. La région Bretagne a commandé une étude « socio-économique » destinée à observer le potentiel de la ligne. De ce rapport rendu public en décembre 2018, il résulte que la remise en état, qui implique d’autres travaux que ceux dus à l’éboulement, durerait « 4 ou 5 ans » (soit un peu moins que le délai annoncé de reconstruction de Notre-Dame de Paris) et coûterait 40 à 45 millions d’euros (soit environ 1000 fois moins que le coût total du supermétro du Grand Paris). Mais on est ici dans le nord Finistère, pas en Ile-de-France, et ces délais comme ces montants paraissent exorbitants.
Le rapport de décembre 2018 laisse un petit espoir, pour la forme. Pour remettre la ligne ferroviaire en service, il faudrait « au moins doubler le nombre de voyageurs ». Mais le document souligne aussi que « les déplacements travail-domicile et études-domicile sont en baisse ». Ils ne sont pas compensés par les déplacements touristiques qui « restent importants et dynamiques ». La ligne Morlaix-Roscoff paraît donc condamnée.
Les autres lignes méconnues. Et voilà comment on tue, petit à petit, le voyage en train. Car le sort de cette voie unique n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il existe bien d’autres lignes menacées, et pourtant superbes, comme le rappelle Juliette Labaronne dans son ouvrage « Slow train » paru aux éditions Arthaud en avril 2019.
Lire aussi: « Le train, c’est pour les autres » (avril 2018)
Ces trains qui roulent moins vite qu’en 1973 (novembre 2017)
Mais est-ce si grave ? Après tout, qu’importe que l’on effectue ce trajet court en autocar ou en train, non ? La route existe ; elle est utilisée, entretenue, gratuite. On lui trouvera moult avantages : les cars effectuent désormais six trajets par jours, contre trois en train avant juin 2018, et le ticket ne coûte pas plus de 2€ l’aller.
Oui, c’est grave. En fait, oui, c’est grave. D’abord, tout bêtement, parce qu’un voyage en autocar n’est pas aussi confortable qu’un voyage en train. Dans un train, on peut se lever, marcher. Le rythme des roues sur les rails est bien plus apaisant que les soubresauts du car à chaque redémarrage et au passage de chaque rond-point. Dans le train, on peut transporter un vélo, on a le droit de manger, les enfants peuvent courir dans les allées. Dans le car, il faut les attacher à leur siège et les distraire. Ils n’auront aucun souvenir de ce trajet ennuyeux, alors que le train les aura amusés. Et puis l’autocar peut être bloqué dans les embouteillages, surtout les dimanches soirs d’été au retour des plages. Que fera alors le TGV ? Assurera-t-il la correspondance ?
Le car est moins confortable que le train, mais il est aussi moins confortable que la voiture. Une partie des habitués du chemin de fer préfèreront emprunter leur propre véhicule, ou se faire conduire à la gare, ou louer une voiture. Tout ceci multiplie les trajets, et finit par justifier l’augmentation des budgets dédiés à la route, voire la construction de nouvelles routes. Tout en favorisant l’étalement urbain, et en incitant les voyageurs à choisir des lieux de villégiature où ils demeureront dépendants de la voiture.
L’éternel argument fiscal. Alors, oui, remettre en état une voie ferrée, cela coûte cher. C’est d’ailleurs l’argument principal de ceux qui militent pour la fermeture des lignes. En fait, ils ne militent pas pour la fermeture des lignes, mais contre leur réouverture, ce qui revient au même. « Êtes-vous prêt à payer plus d’impôts pour cela ? », disent-ils. Ah, cette satanée question fiscale, qui s’infiltre partout ! L’argument fiscal, c’est l’intérêt général (moins d’État) qui rejoindrait les intérêts particuliers (moins d’impôts). L’horizon ultime de toute une société, en concurrence avec la consommation frénétique et l’accumulation de toujours davantage de biens.
Un horizon souhaitable, vraiment? Toutes les ressources fiscales n’ont pas été exploitées. On pourrait évoquer la lutte contre la fraude, l’impôt sur les successions, etc., mais passons. Et rappelons que, précisément, la gestion d’un budget public implique des choix. Surtout, il n’est même pas certain que, comptablement, les pouvoirs publics aient intérêt à avantager la route plutôt que le train. Les routes, elles aussi, coûtent cher : construction, maintenance, signalisation, surveillance, accidents, hôpitaux, sédentarité. Sans compter les émissions de CO2, la pollution atmosphérique, la réduction de la biodiversité, etc. Les détails de ce calcul, qui s’appuie sur des documents du lobby des routes, de la sécurité routière et du Parlement européen, se trouvent ici. En comparaison avec toutes ces nuisances, à long terme, le ferroviaire ne pèse pas nécessairement davantage sur les budgets. Mais en attendant, c’est le goût du voyage en train qui disparaît.
Et aussi (et ça vaut pour le train vs. l’autocar): Oui, il faut opposer les modes (février 2019)
Olivier Razemon (l’actu sur Twitter, des nouvelles du blog sur Facebook et de surprenants pictogrammes sur Instagram).
 
 
 
 
 
« L’interconnexion n’est plus assurée », le nom de ce blog, fait référence à la petite phrase qui s’échappait les jours de galère des hauts-parleurs sur les quais du RER.
La rivalité surjouée entre « les Parisiens », auxquels on réduit systématiquement les habitants de l’Ile-de-France, et les « provinciaux », ont la vie dure. Derrière ces idées reçues se cache un constat encombrant: il y a trop de monde en région parisienne. Rue de l’Echiquier, février 2021.

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