Effectifs en chute, service dégradé et tarifs en hausse : enquête à la … – L'Humanité


Voilà un symptôme pour le moins préoccupant du recul de la liberté de la presse en Europe : les pires satrapes, les…
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Dans la perspective de l’ouverture à la concurrence en 2025, les salariés de la RATP, voient leurs acquis sociaux démantelés, leurs rémunérations comprimées, leur temps de travail s’allonger. Une dégradation à l’origine d’une hémorragie d’effectifs qui détériore le service. Et pourtant, la région Île-de-France envisage de passer le ticket de métro de 1,90 euro à 2,30 euros l’unité et le pass Navigo de 75 à 90 euros mensuels. Enquête
Il est 19 h 30, une longue journée de travail s’achève. D’un pas las, cadres et employés se dirigent vers la bouche de métro ; ils s’arrêtent net. Un nouvel incident est survenu sur la ligne 13, le flot humain remontant des quais se déverse vers les arrêts de bus les plus proches. Un véhicule arrive, il est déjà bondé, impossible d’y monter. Les esprits s’échauffent, la foule entrave la circulation, des agents de police surgissent, suivis par les hommes en uniforme de la Sûreté RATP, pour disperser les voyageurs en colère.
Scène banale du cauchemar quotidien des transports publics en petite couronne parisienne, aux heures de pointe, depuis cet été. Conducteur de bus rattaché à un dépôt voisin, John témoigne du désarroi qu’il ressent, à voir le service se dégrader ainsi. « Pour nous, ce genre de situation, c’est l’horreur. Nous devons faire face à des voyageurs excédés, sans pouvoir répondre à leurs demandes, faute de machinistes en nombre suffisant. Dans ces cas-là, il faudrait envoyer des bus supplémentaires, mais la RATP n’est plus en mesure d’organiser de tels services spéciaux au pied levé », résume-t-il.
Icon QuoteNous devons faire face à des voyageurs excédés, sans pouvoir répondre à leurs demandes, faute de machinistes en nombre suffisant. John, conduteur de bus
Entré à la RATP voilà quinze ans, il a vu les conditions de travail se détériorer lentement mais sûrement. Jusqu’au « tournant » de cette dernière année, avec le déploiement anticipé, depuis le mois d’août, du Cadre social territorialisé devant aligner la RATP sur les opérateurs auxquels sa filiale privée, RATP Cap Île-de-France, devra disputer les marchés sur le réseau de surface démantelé en « lots » en vue de l’ouverture à la concurrence, au 1er janvier 2025.
Conséquence, pour les conducteurs de bus, soumis à une exigence de productivité grandissante : une heure de travail supplémentaire par jour sans compensation financière ; la suppression de la prime de 12 euros et des vingt minutes abondant le compte de temps supplémentaire en cas de services en deux vacations désormais étendus au week-end et portant jusqu’à treize heures l’amplitude des journées de travail, avec de longues heures passées dans les dépôts faute de pouvoir rentrer chez soi : des primes passées à la trappe sur de maigres rémunérations ; la perspective de perdre à l’année six jours de repos.

Dans le brouillard sur l’avenir et les conditions de reprise des lignes par d’éventuels concurrents après 2025, ce basculement n’a pas été ratifié par les syndicats. Ce qui n’a pas empêché la direction de passer en force, sauf, pour l’heure, sur la suppression des jours de repos, disposition conditionnée à la conclusion d’un accord d’entreprise.
Ce bouleversement intervient dans un contexte où les agents, toutes catégories confondues, craquent. Les statistiques internes à l’entreprise, que l’Humanité a pu consulter, sont éloquentes. Alors que le nombre d’embauches de personnels exploitants et commerciaux sous statut ou en CDI s’est effondré, passant de 2206 en 2019, dont 1872 roulants, à 880 en 2021, dont 506 roulants, le nombre de départs, sur la même période, a crû pour cette catégorie de plus de 18 %, dont 30 % pour les roulants et le nombre de démissions a augmenté de 45 %. Quant aux révocations, elles ont enregistré une hausse de 50 %, dont 31 % pour les roulants – il faut compter parmi elles la part non négligeable des abandons de postes, de plus en plus fréquents, dont les conseils de discipline finissent par prendre acte.
Icon QuoteLe nombre de journées d’absence pour accident du travail, de trajet ou maladie professionnelle est passé pour les roulants de 61 032 en 2018 à 81 772 en 2021
Autre donnée préoccupante : le nombre de journées d’absence pour maladie a quasiment doublé pour ces mêmes catégories entre 2018 et 2021, témoignant de la dégradation de l’état de santé des salariés et de la montée des risques psychosociaux que provoque la situation d’anomie liée à la perspective de l’ouverture à la concurrence et de la privatisation.
De même, le nombre de journées d’absence pour accident du travail, de trajet ou maladie professionnelle est passé pour les roulants de 61 032 en 2018 à 81 772 en 2021, sachant que les agressions représentent près d’un tiers des accidents du travail. Les dépenses consacrées à l’amélioration des conditions de travail inscrites au budget ont été, elles, divisées par trois entre 2018 et 2021, alors même que leur taux de réalisation est en recul constant.
« À la RATP, on se croyait bien lotis : ce n’est plus du tout le cas. Avec ces nouvelles conditions de travail, les collègues craquent. Il y a un sentiment de trahison de la part de l’entreprise. On a signé pour des règles qui changent en cours de route. Ce qu’on encaissait avant parce qu’il y avait certaines compensations, on ne l’accepte plus. Alors beaucoup préfèrent partir, confie John. La RATP voulait dégraisser les effectifs en vue de l’ouverture à la concurrence, mais ils ont été pris au piège de cette politique. Ils ne s’attendaient pas à une telle hémorragie. Maintenant ils n’arrivent plus à recruter : le métier a perdu toute attractivité. »
Diagnostic confirmé en creux par la RATP, qui fait état de « difficultés de recrutement inédites de conducteurs de bus », une source de « préoccupation majeure » pour le groupe, qui peine à « garantir une offre de service optimale » sur « certaines lignes du réseau ».
La pénurie d’effectifs est telle qu’en septembre, 25 % des services de bus n’ont pas été assurés, alors même que l’offre demandée par l’autorité organisatrice n’est que de 80 % par rapport à son niveau d’avant la pandémie de Covid-19. « Au premier semestre 2022, la RATP a dû verser à Île-de-France Mobilités 9 millions d’euros de pénalités pour les services non assurés », calcule Bertrand Hammache, secrétaire général de la CGT RATP.
Une situation « exceptionnelle », assure l’opérateur, qui met en avant des « difficultés conjoncturelles se retrouvant dans d’autres secteurs puisque de nombreux autres acteurs majeurs de l’économie française sont concernés par la pénurie de main-d’œuvre. » Sur l’année 2022, il manquait 1500 conducteurs de bus. La RATP assure que 700 postes ont été pourvus à ce jour, et qu’elle « déploie des moyens importants pour recruter et former le maximum de conducteurs de bus afin d’assurer une offre de service conforme à (ses) objectifs et à (sa) qualité de service. »
Ses promesses aux jeunes gens qui la rejoindraient : « un salaire de 26 000 euros brut annuel, primes incluses », « des horaires flexibles avec le choix de différents services dans la journée », « un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle » et des « perspectives d’évolution ». Elle table encore sur la prime de 2000 euros envisagée par la Région Île-de-France « pour orienter les jeunes et les demandeurs d’emploi vers les formations de conducteurs ».
Mais l’entreprise peine tant à recruter qu’elle publie ses offres d’emploi jusque sur des sites de petites annonces comme leboncoin. Elle envisage même d’ouvrir ses recrutements aux intérimaires pour assurer des fonctions de conduite, pour s’aligner sur les « pratiques déjà exercées par les autres opérateurs franciliens ». Quant à la prime promise aux machinistes en poste pour convaincre un éventuel candidat de postuler, elle ne rencontre guère de succès.


Du lundi au vendredi, l’actu essentielle décryptée par la rédaction de l’Humanité.
« Je n’irai jamais mentir à un jeune en lui disant : “Viens bosser à la RATP, tu y trouveras un bon travail et une bonne qualité de vie”. Moi-même je craque, je n’en peux plus. Quand j’arrive sur ligne et que je vois qu’il n’y a pas eu de départ depuis 25 minutes, que le trottoir est noir de monde, avec des gens énervés parce qu’ils sont en retard au travail, je suis tout de suite sur les nerfs, sous pression, grince Nadia, machiniste au dépôt de Flandre, à Pantin. La mise en concurrence, la privatisation dégradent nos conditions de travail et les conditions de transports des usagers, qui voyagent dans des conditions dégoûtantes. Ça va marcher au profit, ils vont chercher à faire du fric avant tout, il y aura toujours moins de bus. Les petites lignes assurant un passage régulier aux heures creuses vont finir par disparaître : pas de rentabilité, pas de bus ! Et la qualité du service se dégradera encore. On avait un service public génial, et il est livré à la démolition, comme ailleurs, comme pour la santé, l’éducation. Le public se fait bouffer par le privé, on vend la France, et nous les travailleurs du secteur public on se fait massacrer. »
Icon QuoteÇa va marcher au profit, ils vont chercher à faire du fric avant tout, il y aura toujours moins de bus. Nadia, machiniste au dépôt de Flandre
Cette dégradation des conditions de travail explique à 100 % la dégradation des conditions de transports en petite couronne depuis cet été, juge aussi Fabien Guillaud-Bataille, conseiller régional (PCF) et administrateur d’Île-de-France Mobilités : « On l’avait senti monter depuis le début de l’année. Dans la dynamique de mise en concurrence impulsée par Valérie Pécresse, depuis le début, c’est le mieux disant en termes de prix qui l’emporte, donc le moins disant social. La logique de cette mise en concurrence, c’est le rachat des moyens de production par Île-de-France Mobilités : les dépôts, les bus, les infrastructures. Ensuite cette autorité organisatrice allotit ces moyens de production à un prestataire qui est chargé de faire rouler les bus. Le prestataire, lui, n’a plus qu’un seul levier : le salaire et les conditions de travail puisqu’il ne maîtrise pas les autres coûts. »

Sous pression des objectifs de productivité toujours plus exigeants fixés par Île-de-France Mobilités et que la RATP dépasse pour mobiliser les moyens indispensables au développement de ses filiales privées, l’entreprise a bel et bien anticipé la casse des acquis sociaux dictée par l’ouverture à la concurrence. Quitte à trop tirer sur la corde. Résultat : le faible niveau de recrutement ne compense plus les départs, dont le nombre s’envole.
Un matin de janvier 2021, Richard a subitement décidé de ne plus prendre son service : abandon de poste. Il était entré à la RATP 14 ans auparavant, quand « tout allait bien », quand c’était « l’eldorado ». « Le navire était en train de sombrer, je le voyais, je m’en rendais compte. On nous retirait tous les avantages, en ne nous laissant que les inconvénients, les contraintes. Je faisais 40 dimanches à l’année à la RATP. Je travaillais le matin, la nuit, les jours fériés, avec des cycles chaotiques. Il fallait faire toujours plus de kilomètres, plus de bénéfices, avec moins de conducteurs, au détriment de l’emploi, des travailleurs. C’est venu d’un coup. Je ne voulais pas me morfondre à attendre une hypothétique retraite qui ne faisait que reculer. Je ne voulais pas mourir là. Il fallait que je parte avant que ce soit trop tard. J’ai demandé une rupture conventionnelle. On ne m’a jamais donné de réponse. Ils n’ont jamais essayé de me retenir. Alors j’ai dit : voilà je me casse. Un matin, j’ai décidé de ne plus aller au boulot. »
Il vit et travaille aujourd’hui à Pau, a perdu 7 000 euros de salaire à l’année, mais vit en centre-ville, se réjouit de conditions de travail « incomparablement meilleures », goûte la politesse des passagers, ne regrette rien des horaires décalés, des services de nuit, de la circulation anarchique qui contraint à Paris les conducteurs à une hypervigilance permanente.
Comme lui, des conducteurs excédés, toujours plus nombreux, disparaissent du jour au lendemain sans signaler leur départ. Au point que récemment, un message diffusé sur l’ICS, le terminal de communication des machinistes avec le centre de régulation de Romainville, a laissé les destinataires stupéfaits : « Merci de signaler tout bus abandonné ». Signal d’alarme concernant les véhicules laissés en station alors que les agents de relève ne prennent pas leur service.
Icon QuoteIl y a un profond malaise au travail dans cette entreprise. On ne sait plus à quoi on sert. On est réduits à des machines à rouler, sans vie privée, sans loisirs. Olivier, 18 ans à la RATP
Olivier a jeté l’éponge aussi, après 18 ans à la RATP. Lui qui conduisait un bus sur une ligne reliant Asnières à Argenteuil, il a pris en septembre un congé sans solde, se consacre depuis lors à la rénovation de voitures de collections dont il refait à neuf les circuits électriques. « Je respire, je revis », exulte-t-il. « J’étais dégoûté, je voulais prendre soin de moi, faire ce dont j’avais envie, plutôt que subir. Beaucoup de collègues cherchent eux aussi une porte de sortie. Il y a un profond malaise au travail dans cette entreprise, atteste-t-il. On ne sait plus à quoi on sert. On est réduits à des machines à rouler, sans vie privée, sans loisirs. On n’est pas écoutés, pas considérés, traités à tout bout de champ de fainéants. Alors qu’on travaille les dimanches, les jours fériés, en horaires décalés. »
À la direction de la RATP, il reproche d’être « dans une autre dimension », de ne pas « prendre la mesure du désastre », d’avoir « encouragé l’individualisme, cassé la culture de la lutte, entrepris un travail de longue haleine pour changer les mentalités », de se contenter désormais de « gérer les effectifs à la petite semaine, pour passer le cap de la mise en concurrence.
Icon QuoteMême les cadres sont sur le fil du burn-out. La direction table sur la casse du collectif, sur l’individualisme. Riadh Ben Messaoud, élu CGT et CSSCT
« C’est la réorganisation permanente pour déstabiliser et désarmer les salariés. Cette boîte a été déshumanisée par les exigences de productivité, de rentabilité. Même les cadres sont sur le fil du burn-out. La direction table sur la casse du collectif, sur l’individualisme. La conséquence, c’est le repli sur soi et un profond désarroi », confirme Riadh Ben Messaoud, élu CGT au Comité social et économique (CSE) et à la CSSCT du réseau de surface-bus.
Ce pari sur l’individualisme s’est traduit voilà quelques années par la constitution d’une brigade de réservistes engagés à assurer le service les jours de mouvement social, en contrepartie d’une prime. Ironie du procédé : ces agents eux-mêmes ont menacé lors du mouvement contre la réforme des retraites de se mettre en grève à leur tour si leur prime n’était pas revalorisée…
Premiers représentants de la RATP confrontés à l’exaspération et trop souvent à l’agressivité des voyageurs, les machinistes évoquent, en interne, une atmosphère de crispation, entretenue par une hiérarchie elle-même sous pression d’objectifs de rentabilité sans cesse revus à la hausse, et rompue, s’agissant des nouveaux venus, aux méthodes du lean management qui tient le salarié pour une « ressource » à « optimiser » en permanence.
Au prix de « conséquences délétères sur les conditions de travail et la santé des salariés : intensification du travail en lien avec les délais de plus en plus courts, stress, suppressions de postes, troubles musculosquelettiques (TMS), mal-être et perte de sens au travail, risques psychosociaux », alertait dès 2015 le cabinet Progexa dans une étude sur la mise en place du lean dans le secteur des transports.
Ce contrôle étroit s’est entre autres traduit ces dernières années à la RATP par une nette hausse du nombre d’interventions de la Brigade de surveillance du personnel, chargée d’examiner anonymement la conduite des machinistes, le respect des règles de sécurité, et désormais d’évaluer leur respect du « référentiel des attitudes de service », c’est-à-dire leur conformité à l’attitude commerciale attendue d’eux envers les usagers rebaptisés « clients ».
Dans un rapport de 2021 sur la gestion des ressources humaines à la RATP, la Cour des comptes relevait « 28 500 suivis réalisés en 2019, soit une augmentation sensible par rapport à 2017 ». Surtout, la part des suivis « commandés », c’est-à-dire réalisés dans le cadre de la surveillance d’un agent spécifique, avait considérablement augmenté, leur nombre passant de 1754 en 2014 à 3263 en 2019.
Icon QuoteAvec les conditions de circulation dans lesquelles nous travaillons, si tu cherches une erreur pour épingler un conducteur, tu la trouves.  Mohammed, machiniste au dépôt de Thiais
« Dans le jargon RATP, on appelle ça ‘les mouches’. Un excès de vitesse de 5 kilomètres heures, le passage à un feu orange pour éviter un freinage brusque, un glissement sur un stop, le bonjour d’un voyageur auquel on ne répond pas : la moindre erreur peut nourrir le rapport de la BSP qui vaudra à un conducteur un passage en conseil de discipline. Avec les conditions de circulation dans lesquelles nous travaillons, si tu cherches une erreur pour épingler un conducteur, tu la trouves », témoigne Mohammed, machiniste rattaché au dépôt de Thiais, avant d’égrener les pauses écourtées au terminus, les rappels à l’ordre crispés de régulateurs eux-mêmes en sous-effectif quand le retard fait passer la ligne au rouge, les formations refusées faute d’agents en nombre suffisant pour assurer la couverture du service.
De quoi nourrir la souffrance au travail, les désertions et, en bout de course, le chaos des transports publics en Île-de-France. Frédéric, un conducteur du Centre Bus RATP Paris Est – Lagny, près de la porte de Vincennes, entré en 2002 à la RATP, confie se rendre de plus en plus souvent au travail avec la boule au ventre. « J’habite loin : avec nos salaires, on ne peut pas se loger en proche banlieue. Je rentre le soir épuisé, je mange, je dors, et rebelote le lendemain, soupire-t-il. La semaine dernière, alors que je prenais le train pour aller au boulot, à l’approche de Paris, je suis monté en pression tout seul, sans rien. J’étais déjà sur les nerfs avant même de commencer alors que rien d’alarmant ne s’annonçait dans cette journée. On a du mal à supporter les conditions dans lesquels les voyageurs sont transportés. Quand il y a des 40 minutes d’attente, c’est compliqué, il y a énormément de monde. J’en suis arrivé à relever les rétroviseurs pour ne plus voir les gens entassés les uns sur les autres. »
Dans les ateliers, les mainteneurs ne se portent pas mieux. Lorsqu’il a rejoint la RATP, en 1986, Michel partageait dans son dépôt des Lilas le travail avec 109 collègues. Ils ne sont plus que 37 aujourd’hui, pour entretenir, réparer les bus.  « On perd 3 à 4 agents tous les ans dans chaque dépôt depuis 20 ans. On est sous la pression de faire toujours plus, avec toujours moins, témoigne-t-il. On te donne un temps estimé de travail que tu dois respecter, mais en même temps, la désorganisation est complète, il faut courir après les pièces détachées. Sans parler de l’arrivée de nouvelles technologies qui n’est pas anticipée suffisamment en amont, ce qui nourrit un sentiment d’impuissance de mainteneurs trop peu formés, et justifie le recours de plus en plus fréquent à la sous-traitance. »
Devant ce processus d’ouverture à la concurrence confus, désordonné, au pas de course, l’irritation semble gagner jusqu’aux sphères dirigeantes de la RATP. Dans une lettre du 29 septembre adressé à la présidente LR de la de Région Île-de-France Valérie Pécresse, la patronne sortante de la Régie, Catherine Guillouard, renvoie à Île-de-France Mobilités sa part de la responsabilité dans les dysfonctionnements du réseau de bus parisien.
En déclinant entre autres la proposition faite à la RATP cet été d’assurer une mission de prestation pour gérer les systèmes de régulation et de supervision à l’échelle de l’ensemble du réseau, l’information voyageurs, la billétique et les systèmes de sécurité. Des outils et des infrastructures dont la charge devrait revenir à l’autorité organisatrice, et dont il apparaît qu’ils « ne pourront matériellement pas être scindés et exploités par les opérateurs dans les délais impartis, alors qu’ils sont indispensables pour leur permettre d’exploiter le réseau de bus. »
Céline Malaisé, président du groupe de la Gauche communiste, écologiste et citoyenne au Conseil régional d’Île-de-France, n’hésite pas de son côté à faire peser sur la présidente de l’exécutif régional toute la responsabilité du « chaos des transports publics », l’objectif de la droite étant selon elle « d’imposer l’idée selon laquelle le privé ferait mieux ». « Il est encore temps et possible de stopper ce processus de privatisation coûteux socialement et financièrement et source de désordre dans les transports, plaide cette élue. D’ailleurs, les comptes d’Île-de-France Mobilités témoignent du fait que Valérie Pécresse n’a plus les moyens de privatiser sauf à abandonner des investissements utiles et déjà promis de longues dates ou sauf à faire flamber le prix du Pass Navigo et à mettre ainsi fin au droit aux transports pour tous les Franciliens. »
Premier ministre, Jean Castex avait activement contribué à préparer le terrain de l’ouverture à la concurrence. Tout comme Elisabeth Borne, que les salariés avaient surnommée « Burn-out » lorsqu’elle était présidente de la RATP, de 2015 à 2017. Dans le chassé-croisé qui s’annonce, ce duo paraît bien mal placé pour rompre avec les dogmes libéraux qui ont semé le chaos dans les transports en Ile-de-France.
Le nouveau patron de la RATP prendra ses fonctions dans un climat social à l’orage : après « l’alarme sociale commune » lancée le 14 octobre, l’Intersyndicale (Solidaires, CGT, Unsa, FO et La Base) appelle à la grève le 10 novembre, pour dénoncer « la politique de destruction » de l’entreprise publique.
Un simulateur pour voir ce qui change réellement pour vous, des décryptages vidéo, des infographies, un lexique et l’ensemble de nos articles pour connaître l’impact de la réforme que le gouvernement veut imposer, découvrir les alternatives et suivre l’actualité de la riposte sociale… Le tout réuni en une seule page !
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